jeudi 12 novembre 2009

Lectures et lecteurs,


L’expérience récente d’un petit syndrome-viral- à garder- la -chambre sinon le lit, et à y lire toute la journée, m’a remis en tête une réflexion qui fut pendant des années mon fonds de commerce : qu’est-ce qu’un lecteur ?
Deux images familiales :
Mon père, terrorisé par l’apprentissage de la lecture par la méthode mimotechnique, qui séchait l’école le jour du « f », phonème dont l’étude s’accompagnait du geste d’un feu qui flambait et d’un bruit « feuuuuuuuuu !!! »qu’il ne savait pas reproduire !
Mon père, devenu un remarquable et assidu lecteur, avec tendance à prendre possession du texte à voix haute, ce que mes charmants collègues terroristes considérèrent vers les années 80 comme une tare irréductible…
Mon père assis au pied de mon lit quand j’étais malade enfant ; je l’étais assez souvent, et on me gardait facilement « au chaud !!! » Il lisait d’une belle voix assez basse sans effets théâtraux ; Tartarin, Les lettres de mon moulin , et … surtout Madame Thérèse, chef d’œuvre à jamais pour moi, enchantement de l’hiver, jeux d’enfants sur la neige et la glace, avec des lits clos en alcôve dans des grandes salles chaudes, et l’espoir républicain en marche.
Mon père lisant tous les soirs sur son canapé.
Mon père âgé et seul désormais, lisant parfois toute la journée et m’en parlant le soir lors de notre coup de fil rituel…
Pour avoir éludé les « f » et fait l’école buissonnière au cours préparatoire et pour avoir toujours aimé lire à haute voix en était-il moins lecteur ?

Ma grand mère maternelle, Basque du pays de soule, apprit à parler français en rencontrant mon grand père. Elle ne sut jamais vraiment écrire, même son nom. Obligée de signer pour me faire sortir de mon internat, ce fut pour nous deux une épreuve hebdomadaire d’émarger le registre de sortie.
Par contre, orgueilleuse et fière, elle s’apprit à lire seule, et dévora, dévora, dévora… « Confidences » et « Intimité » mais aussi bien des livres échangées avec ses copines et ses payses, sur des sujets lui tenant à coeur sur Hitler (une de ses sœurs et son beau-frère avait été déportés) sur Eva Perron, (je ne sais pourquoi) et quantité de romans fleuves, les Jalna, et bien d’autres que je ne me rappelle pas….
Le soir elle s’asseyait à la table de la cuisine sous la suspension et lisait des heures durant en marmonnant très doucement les mots comme on suce des bonbons. Je ne pouvais m’empêcher souvent d’aller m’installer près d’elle avec mes livres et mes dicos, moi à qui on réservait le calme et l’immense table de la grande pièce « pour travailler »….

Trois images de ma vie d’école :
Jeune prof de 6ème , j’eus pour élève un petit José. On se rendit compte qu’il n’était pas capable de raconter les textes qu’il lisait silencieusement, ni d’en tirer la moindre information.
Je me pris pour Lucifer, décidée à lui apprendre ce que ses instits n’avaient pas su faire : on l’exerça avec obstination à prononcer les mots et les textes. Il s’y prêta avec complaisance et plaisir, se portant volontaire pour lire à haute voix lors des séances de lecture de roman que j’avais mises en place. Il nous tenait sous le charme de sa voix bien timbrée , respectant avec soin la ligne mélodique de la phrase, chapitre après chapitre de l’école des Robinsons…Je me rendis compte un jour qu’il ne retenait rien de l’histoire, rien des personnages, rien de rien…et que j’étais une gourde !!!!

Myriam,
Prof de français à l’école normale, je la rencontrai dans une classe unique rurale. Depuis deux ans elle apprenait, et savait d’ailleurs par coeur, à l’endroit et à l’envers toutes les syllabes possibles…
Dans un moment de « creux », où elle m’avait souri et confié : « Je ne sais pas lire », je pris un bloc brouillon et lui écrivis son nom, Myriam, et lui dis :
-Je suis sûre que tu sais lire ça !!!
-Non !!!
-Si, c’est quelque chose que tu connais très bien !!!
Alors elle essaya de cette voix d’entrailles des mauvais déchiffreurs, d’assembler douloureusement lettres et sons et soudain elle me dit, triomphante, extasiée :
-C’est moi !!!
Et elle ajouta, en me retendant le bloc, écris-moi quelque chose d’autre…
Notre amitié dura quelques mois. Tutrice de son enseignante, je leur fis beaucoup de visites. Le bloc voyageait entre nous à sens unique d’abord, puis à double sens.
Un jour elle s’en alla, sa mère, seule pour l’élever, ayant trouvé à mieux subsister dans un autre village…

Prof de français en Première (36 élèves bien tassés) ; il fallait choisir « un texte complet" de Rousseau, dans une liste d’œuvres : le Contrat Social me rebutait par son aridité et son rigorisme, la Nouvelle Héloïse par son pathos bien pensant, je choisis dans la liste les Rêveries du promeneur solitaire, un choix que je ne regrette pas car ce texte m’a souvent rendue heureuse .
Mais là, une fois les petits livres de poche acquis par les élèves, je fus paniquée à l’idée de tirer de ce texte des« explications de texte » à porter sur La liste du Bac : Qu’expliquer de ce texte qui explicite si bien et musicalement tous les états d’âmes de Jean-Jacques et le journal de sa vie de flânerie et de souvenirs ?
Alors je commis avec délices une transgression pédagogique : nous nous mîmes à lire tour à tour et au gré de chacun, tous ces textes, nous arrêtant après lecture pour en dire un mot, une remarque, un rapprochement, un goût, un jugement … Je crois pouvoir affirmer que le plaisir de cette lecture fut largement partagé entre nous, dans la tiédeur moite de ce « préfa » moche et sans confort, et que d’autres que moi en gardent un souvenir délicieux…
(Ayant comme toujours trop de textes à porter sur la liste, nous fîmes l’impasse sur Rousseau d’un commun accord …)

De ce livre d’images, je tirerais la leçon qu’il y a plusieurs manières de lecteurs, plusieurs manières d’user pour sa vie du pouvoir fabuleux de lire.
Il y a aussi plusieurs routes pour l’acquérir
: il y a des routes scolaires bien tracées, des autoroutes en somme, mais il y a aussi des chemins de traverse…
Certes je compterai toujours sur l’école pour tracer de belles routes régulières, mais ce que je réprouverai toujours c’est que l’école n’accepte pas, plus, qu’elle ne cherche pas à intégrer et à exploiter, ces chemins buissonniers, qui longent, qui contournent, qui croisent l’autoroute, ces chemins qui sont pour certains le meilleur chemin (parfois même le seul).

Foi de Mamou Cyclopède enrhumée !!!!

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce cher Jean-Jacques ! Moi, ce sont les "Confessions" qui me font fondre. Je n'habite pas si loin de la si belle maison des Charmettes. Chaque été les guides-conférenciers de la ville de Chambéry organisent en soirée des visites théâtralisées qui sont un vrai régal...
Françoise, je suis ûre que j'aurais adoré t'avoir pour prof !
Edith

Anonyme a dit…

Pardon, faute de frappe : mais tu as compris que je suis certaine que tes cours m'auraient captivée.
Edith

Unknown a dit…

J'avais bien compris...et apprécié!!!!
FRancoise

elisabeth a dit…

Le Contrat Social de ROUSSEAU, c'est pendant les années de Fac de Droit qu'on l'étudie, c'est pour préparer le Droit Public. C'est pour cela que ce n'est pas adapté aux lycéens... c'est trop compliqué pour eux. Bon dimanche et bonne lecture.