Mouette à l'essor mélancolique
Elle suit la vague ma pensée
A tous les vents du ciel balancée
Et biaisant quand la marée oblique...
Une nuit , une des ces nuits qui
cessent de dormir vers 4 heures et agitent l’esprit de préoccupations et d’
angoisses , tourne manège dans ma tête…je décidai d’y échapper en
détournant mon esprit de cet angoissant
manège en l‘occupant par d’autres pensées
plus anodines et salutaires, penser au passé , exercer ma mémoire à me souvenir du passé heureux , de ceux de ma
vie personnelle , que j’ai aimés, les moments partagés…ou pas, ceux de
l’histoire que j’ai vécue ou du moins connus, leurs noms …
Peut-être est-ce un bon exercice
de mémoire, mais par la tension d’esprit qu’il impose, ce n’est guère excellent pour retrouver le
sommeil….Rien d’une berceuse ….
De l’idée de berceuse à celle de
litanies, de litanies à prières, de prières à poèmes, j’ai soudain pensé a une
anecdote racontée par P Valéry, un de ces « Ravis de la Poésie »
que j’ai tant aimés…Il racontait donc, à l’appui de sa théorie poétique (j’ai
oublié où !!!), qu’un de ses amis amateurs de vers contraint de subir
une ( petite j’espère) intervention chirurgicale sans anesthésie, essaya
d’endormir sa douleur par la puissance
incantatoire d’une récitation de poèmes
…
…Que j’imaginais en alexandrins , ces vers dont le rythme s’accorde si
bien à la respiration et au bercement …
…et de rechercher dans ma mémoire des vers porteurs de musiques qui
calment, et c’est à Baudelaire que je pensai d’abord
« Cheveux bleus pavillon de ténèbres tendus…… »
Baudelaire…bien sûr !
Quel alexandrin pourrait mieux convenir au bercement mélancolique
d’une insomnie tourmentée…
« La mer, la vaste mer console nos labeurs… »
« Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse »
« Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs
« De cette fonction sublime de berceuse … »
Quel rythme, quelle harmonie vocalique pourrait mieux adoucir le souci
qui me tient éveillée..
Ainsi je me grise de la musique
des mots …
Mais la musque des mots n’est pas
musique pure les mots se pressent en moi et évoquent… évoquent…
« Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres
« Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres
« Qui dégagent leur aile et prennent leur essor… »
Plaintes , angoisses, regrets…
Pourtant des vers baudelairiens il y en a de plus colorés , dont l’envol léger allège l’angoisse de la nuit…
Par exemple :
« Mon enfant, ma sœur
« Songe à la douceur,… »
Mais oui ! le vers imper,
comme une tendre balancelle, suspendu, donne à respirer comme le souffle
du premier sommeil…
Et conjure le calme …et parle de lumière surréelle, propice à l’endormissement …
« Les soleils couchants
Revêtent les champs, les canaux,
la ville entière
D’hyacinthe et d’or….
Le monde s’endort dans une chaude lumière… »
La douceur pleine et la chaleur
des sons vocaliques achèvent
l’alchimie …
Mais bien sûr, des vers isolés ne font pas un poème, et je me prends à
les réordonner et à retrouver ceux qui manquent pour faire un tout , l’objet poétique
dans toute sa présence.
Et le vers impair de Baudelaire ne dit pas tout du vers
« impair »…
Et voilà que je je me prends au jeu de retrouver ailleurs la douceur
de ce rythme suspendu , je me dis Verlaine bien sûr ,et je pense à la mer encore, et à cette mouette fascinante, que Jan Lundgren a su faire s’envoler dans mon imaginaire…
« Je ne sais pourquoi
« Mon esprit amer
« D’une aile inquiète et folle
« Vole sur la mer
« Tout ce qui m’est cher
« D’une aile d’effroi
« On esprit le couve au ras des flots
« Pourquoi , pourquoi ?
Me revenaient des groupes de vers, des lambeaux de strophes, et aussi
des manques que je tentais de combler en me servant du sens …
Et je redécouvre l’évidence , ce que j’ai toujours su intellectuellement
que la place des mots n’est pas indifférente, bien évidemment …
Et je tâche de replacer en un
puzzle magique, les poignées de mots qui se pressaient dans ma mémoire…en
essayant le son, le rythme …
Mais cette mouette, cette mouette qui s’associe à la Mer, cette
mouette qui me rappelle celle de Jan Lundgren, m’échappe, tant le
vers impair semble de surcroit
irrégulier , tant la reprise des vers en refrain n’est pas forcément identique…
Quelle merveille que cette variation construise une telle sensation
d’harmonie…
« Parfois si tristement elle crie
« Qu’elle alarme au loin
le pilote…
Normal ? mais surprise !
« Qu’elle alarme au
lointain le pilote ! »
C’est mieux car c’est autre ! et surprenant …
Au fil du temps…
Au fil des insomnies…
Au fil des vérifications diurnes…
Le voilà retrouvé !
LE POEME !
Et avec lui, la conscience émerveillée qui doit être proche de celle
du musicien que le choix , la place, la couleur des mots, est orfèvrerie
du sens , des sons, des couleurs
« Quel pur travail…..
Bien sûr , je préfèrerais dormir …mais je suis passionnée par ce travail
de reconstruction, poétique et musical ; qui peut-être s’apparente à
celui du poète , voire du musicien ….
Moi qui n’ai pas le pouvoir de créer des poèmes, mais qui aime tant
manier, changer, déplacer ,et replacer LES MOTS…
pour ma prose imparfaite….