lundi 30 mai 2011

Le féminisme de ma mère…

Ma mère était née en 1909 Elle aurait plus de cent ans aujourd’hui…Ce constat, en m’inclinant à la résignation, adoucit un peu l’inguérissable blessure de sa perte.

Car depuis bon nombre d’années, elle n’aurait pas pu vivre selon son goût …Elle était folle de voyages et aimait aussi nombre d’activités « mulièbres » mais pas seulement : cuisiner, coudre, tricoter, mais aussi son métier d’enseignante , et lire, faire de l’anglais, soigner ses chats et sa chienne, ses tourterelles, mais aussi les enfants en difficultés scolaires, les adultes en manque d’alphabétisation …Son physique robuste et épanoui, dans lequel nous voulions voir l’assurance de sa pérennité, masquait en fait une santé fragile, et ses dernières années l’obligèrent à réduire cette ardeur à vivre , ce qu’elle nous fit la grâce de supporter sans s’en plaindre . Une certaine propension à la contemplation, du jardin, des animaux, de nos activités, l’y aida sans doute et peut-être un véritable altruisme…mais la fin du « voyager » lui fut sans doute bien dur…

Ce goût du voyage que peut-être elle tint de sa mère , petite cousette de sandales basque, qui profita autant qu’elle le put de l’avantage d’être devenue femme de « cheminot » pour s’en aller par monts et par vaux courir la France partout où il y avait une gare…

C’est peut-être d’elle aussi qu’elle hérita ce féminisme « ordinaire » sans bas bleus ni manifs, qui teintait sa vision du monde : « être autonome », « avoir un métier » « faire des études » ce fut le credo de l’éducation qu’elle nous donna. Sa prolo de mère avait tenu , contre l’avis de son père qui aurait trouvé bien adapté à son talent en couture, et à leur condition modeste, qu’elle se « mette » couturière, sa mère donc, avait tenu à l’envoyer dans le Lycée de Jeunes Filles de Bordeaux, où elle côtoya plus de « jeunes filles rangées » de la bourgeoisie, que de filles cheminots et de cousettes. Puis de là, puisqu’elle obtint fort bien son baccalauréat, à la faculté des Lettres pour faire une Licence d’histoire …qu’elle n’acheva pas, ayant rencontré mon père, l’amour, la maternité, le nécessité de gagner sa vie…

Elle garda de cette expérience un intérêt militant pour la condition féminine, qu’ elle admire ces femmes de son temps, les Coco Chanel ou les Colette, ou que ce souci soit toujours présent dans son métier, qu’elle fasse lire à ses élèves les œuvres de Colette ou plus tard de Simone de Beauvoir, ou fasse des cours « d’hygiène » à ses classes de fins d’études, qu’elle apprenne à lire et à écrire à ses femmes de ménage, ou aux femmes des viticulteurs, mères de ses élèves …ou qu’elle bataillât âprement avec nous pour nous convaincre de ne pas nous marier et avoir des enfants trop tôt , que nous fassions nos études,  que nous accomplissions ce potentiel intellectuel qu’elle croyait voir en nous, qu’elle estimait , à tort je crois, plus intelligentes qu’elle , à l’instar de notre père qui incarna toujours pour elle l’Intelligence .



Car c’était là la limite de son féminisme et de son indépendance. Elle aimait mon père d’un amour passionné, exclusif et jaloux, et vouait à ses qualités intellectuelles une admiration sans réserve. Elle nous aimait fort, ma sœur et moi, mais lui était la « grande affaire de sa vie », et sans lui tous les voyages , toutes les activités du monde n’auraient rien valu à ses yeux…Elle préservait jalousement sa vie, son travail, sa tranquillité, sa santé, et ses petites phrases ont bercé notre enfance : « Ne dérangez pas Payou, il travaille », ou « Ne tracassez pas votre père avec ça » Elle tirait soigneusement sur son travail sacré la porte de son bureau, tandis qu’elle s’installait pour corriger ses copies ou annoter ses préparations sur un coin de table de la salle à manger déjà mise pour le repas, dont elle surveillait la cuisson, s’interrompant parfois brusquement, courant aux fourneaux, criant au poulet qui avait pris un coup de feu ou aux haricots attachés au fond du faitout de fonte…
« La cuisine, toujours je le dis, je le dis, il faut s’y tenir !!! »

Je crois pourtant qu’elle fut une remarquable et audacieuse pédagogue, qui sut réfléchir tout en tournant ses sauces, et trouver des manières de s’adapter avec une intelligente simplicité aux différents publics qu’elle eut en charge… Et des publics elle en eut beaucoup de divers, et de pas toujours simples à gérer, par les avatars de la vie, de la guerre, de leurs nominations successives…




Cette année, ta cactée est encore bien belle...



1 commentaire:

elisabeth a dit…

Je lis ton récit mais le début c'est plus d'émotion. On ne se fait pas à la disparition de ses père et mère. On a beau dire : pourquoi on meurt ? On n'a pas de réponse... Bonne soirée.