dimanche 24 novembre 2013

MITANGO : Bruno Maurice …en solo !



J’aime les duos de Bruno Maurice avec Jacques Di Donato, et leur trio avec André Minvielle , Récemment leur double concerto accordéon/clarinette avec l’orchestre d’Aquitaine nous a enchantés . J’ai beaucoup aimé et j’aime encore ! le Trio Miyasaki …et le quatuor sur les lieder de Schubert façon Cavanna
Mais un solo c’est un plaisir particulier, le bonheur « sans partage » de l’instrument sans partage autre qu’entre lui et nous qui l’écoutons , un face à face à nous offert…

Et quel solo !
Michel qui aime à écrire au plus près de la première émotion ressentie a déjà écrit ses premières émotions d’écoute de Mitangoet si en accord avec ce que je ressens que je me contenterai de le citer..



 Mais bien sûr, moi qui ai besoin de ruminer , de chercher les mots pour le dire , de corriger et rectifier les mots qui me viennent en écoutant, puis en me rappelant ce que j’ai écouté…
Bref –justement pas bref !- j’avais quand même envie d’ajouter ma petite note personnelle à l’expression de cette émotion musicale particulière où se mêlent singulièrement émotion de la musique et émotion de l’amitié …

Ainsi on y vit comme dans la vie la reprise de thèmes déjà connus et comme familiers , mais recrées par l’improvisation d'aujourd’hui, et la création de thèmes nouveaux voire novateurs mais qui portent l’empreinte indéfinissable d’un style , le style de Bruno .

Des thèmes familiers :
Mitango qui est pour moi à la fois lié intimement à la vie de Bruno, le « cri de l’âme » souffrante  par  la mort du père, et à notre découverte  de sa musique avec « Cri de Lame »
…Ou encore, les bulles légères du Saumur Pétillant, effervescence  et ivresse  …
…La montée tranquille dans le vent d’un petit Nuage,   de plus en plus remuant, tandis que le ciel  s’ envahit peu à peu de  Nuages orageux oppressants …
…La lumière vibrante du soleil se levant sur les ergs éclatants du désert…

ET des thèmes nouveaux nés du hasard des voyages et des rencontres :
Hanoi un matin « vie et contrastes de la ville de Hanoi » le calme, la joie et les aigus du Khen à l’accordéon…
 La nostalgie de la chanson française du début du XXe perdue et recréée.. Sur les quais
Et des hommages  remarquables :
Monsignore,pour Monseigneur Agostinho Da Costa  Borges, une tonalité particulière … « inspiration mystique, thème large et généreux » de la prière que vient rompre en contraste un peu de « free jazz »….
Omaggio où il me semble retrouver la pulsation puissante et vitale du tango, et sa mélodie plaintive aux accents très piazzoliens,  sur le sombre arrière plan du chant  tragique d’Astor, qui finit par l’absorber…
Hommage aussi au  Petit orgue, à l’instrument merveilleux qui nous réunit, qui chante « doux flûté »et fluide, avant de s’élargir dans des  « sonorités puissantes de grandes orgues »…
Hommage enfin au public dans la Chanson pour toi,  titre énigmatique que quelques mots écrits dans le livret par Bruno éclairent cependant : « un hommage au public que j’ai croisé si furtivement »
Tous ces thèmes, pour s’engager dans des chemins nouveaux et raconter des aventures musicales nouvelles, n’en portent pas moins tous l’empreinte d’un style aussi évident que difficile à cerner …

…Le style de Bruno ?
Un son particulier celui du Bayan Appassionata bien sûr,  mais aussi une tonalité mélodique particulière, à la Verlaine , en mineur, une sorte de douceur poignante ?
Même dans les phrases souriantes et triomphantes en majeur , elle vient se glisser peu à peu,  « chanter sur le mode mineur  la vie opportune », la vibration du Soleil levant, la douceur du matin et la tendresse presque allègre de la Chanson pour toi.

Un jeu très expressif où se libèrent les possibles de l’appassionata, « petit orgue » expressif et portatif..

L’art du Contraste, des constrastes mutiples, entre tenus émouvants, parfois poignants,  et notes égrenées , ligne épurée  ou   en « méandres »…techniques de soufflet pour un rythme obsédant ou ample et arpèges légers progressant  vers l’aigu…légèreté à faire presque sourire, et résonance quasi solennelle ou tragique

Tout l’éventail d’une virtuosité nuancée qui jamais ne s’impose comme la finalité essentielle  mais toujours au service d’un message …

Pour ce message d’ailleurs il y a aussi des MOTS .
Il y a   les mots- titres, qui même s’ils renvoient à de claires références, Monsignore, Nuage, Soleil levant… éveillent des connotations plus qu’ils ne décrivent…
Il y a aussi dans l’album pour chaque titre  quelques phrases plus poétiques qu’explicatives. Et c’est merveille, les mots de Bruno viennent éclairer brièvement le morceau sans jamais en fermer le sens .
Sur ces mots chacun voyage à sa guise  au fil de la musique dans cet imaginaire ouvert…



 Merci pour ta chanson  Bruno !
 Merci pour ce voyage dans ta musique, c’est tout un univers, d’émotion  et de plaisirs esthétiques multiples  que tu nous offres en partage…





NB : les expressions en bleu sont celles de Bruno Maurice dans son livret... 


mardi 12 novembre 2013

RICHARD GALLIANO en SOLO !



Je ne cesse d’admirer chez Richard Galliano, (entre autres qualités !!!), son talent extraordinaire pour le partage et la découverte. Ses différentes rencontres et la formation de nouveaux groupes encore et encore sont un plaisir toujours renouvelé  tant elles produisent de musiques nouvelles  « chaque fois  autre, et  chaque fois la même » , tant Richard Galliano possède un vrai style et un son véritablement unique .


Ce samedi 9 novembre à Conilhac,dans le cadre du festival de jazz annuel, il donnait un « récital » SOLO…


Pour peu, nous aurions été tentés d’être déçus. Car, curieux impénitents de ses formations,  nous n’avons pas encore écouté en direct son Vivaldi, nous sommes à l’affût de son New Tangaria Quartet, désireux d’écouter   Jean Marc Jafet, que nous connaissons un peu, et  Jean Christophe  Galliano et François Arnaud dont nous aimerions vraiment  entendre le son « live ».  Mais ils  ne se produisent que loin de chez nous… !!!

Mais bien sûr ce SOLO, nous n’avons pas hésité un instant à venir l’écouter !
EH bien !!! le moins qu’on puisse dire, c’est que déçus nous ne l’avons pas été...
Cette heure et demie de musique magnifique valait bien nos 750 km de voiture, notre chambre d’hôtel, les rafales de vent sur les Corbières  et nos « picachous » de fortune…

Comment Richard Galliano peut-il encore et à nouveau nous enchanter, comme la musique des grands, celle qu’on redécouvre à chaque écoute, comme certains romans ou certains poèmes qu’on peut relire indéfiniment ?
Il y a en lui une prodigieuse présence, l’évidence de la musicalité …
Jazz or no Jazz ? nous demandions- nous, Michel et moi, à « Conilhac, festival de Jazz » ?
Si jazz veut dire liberté, créativité inventive,  sur des thèmes mélodiques connus, qui s’élancent  sans jamais se perdre dans des variations inspirées, et nullement gratuites,…c’est Libertango ou Bébé !
Si Jazz veut dire swing étourdissant, c’est Tango pour Claude et Fou rire, ou swing léger et aérien, c’est Barbara,  dansant dans le cœur et l’esprit, c’est Habanerando, c’est La valse  à Margaux 
Si  c’est encore virtuosité époustouflante et complexité musicale si parfaites qu’elles atteignent une lumineuse simplicité et  l’évidence de la beauté… c’est Chapître ou NewYork Tango, au si beau nom d’« Opale concerto »
Si le Jazz est  re-création alors c’est du Jazz, c’est du jazz Galliano, c’est aussi du musette new, c’est du Piazzolla retrouvé …
S’il est partage, c’est partage de La Musique , et de toutes les musiques de sa vie, les musiques qu’il redécouvre encore et toujours , avec ses propres œuvres qu’il relit et réinvente à chaque moment…
Et en l’absence de ses musiciens,  dans cette petite salle chaleureuse, vibrante de monde et d’enthousiasme, s’établit un rapport singulier  avec nous le  public, une communication intense, directe, comme particulière. Et ce face à face est fascinant…

Il y a dans le solo quand il réussit  quelque chose de magique…


Et puis finalement voilà qu’il se débrouille encore ce diable d’homme à rencontrer quelqu’un, quelqu’un à Conilhac quelqu’un du jazz, quelqu’un du Brésil, quelqu’un de sa vie…Il rencontre Rique Pantoja Leite avec qui il a joué avec Chet Baker !
Et avec lequel il  recrée pour nous ce soir  Inaïa joué et enregistré en juillet 1980…cheveux longs et barbe noire …Musique sans rides, superbe !







dimanche 3 novembre 2013

AVEC LE TEMPS …David Venitucci, et Annick Cisaruk…


Je n’aimais pas Léo Ferré .
Il était lié à la représentation que j’en avais quand j’étais gamine…Deux amies de mes parents ne juraient que par lui .Il représentait pour elles  le  poète  dissident , la remise en question  du conformisme esthétique et des valeurs sociales …le chanteur intello…
Je ne sais ce qu’en pensait ma mère qui aimait les romans  romanesques, les chansons sentimentales et l’opéra, les belles voix claires et timbrées…elle n’en  disait rien ...c’est tout dire .
Quant à moi, vaguement choquée,  je n’aimais ni la voix ni les paroles, et du coup je n’entendais guère la mélodie…
Et puis il y eut un accordéon, celui de David , David Venitucci
J’ai souvent raconté « les toiles » de la culture, toile d’araignée en étoile…fils qui s’accrochent et s’attachent les uns aux autres pour un tissu aérien parfois résistant malgré sa légèreté.
Comment pour moi il y a la culture ordonnée , organisée , celle de la littérature, celle de l’histoire ancienne ou contemporaine , celle de l’histoire de la peinture. Celle qu’on acquiert à l’école, à l’université, avec des « mentors »,  des profs, des enseignants, des livres. Parfois la culture familiale est de cet ordre, transmise, sinon organisée rigoureusement.
Et puis il y a la culture personnelle, celle que nous ouvrent, dans des domaines inconnus  les chemins de la curiosité et du hasard des rencontres. Ce pourrait être un fil  d’Ariane qu’on déroule et suit, sauf qu’il n’est pas unique mais s’entrecroise avec une pluralité d’autres fils.
L‘accordéon , pour nous et pour moi, est un de ces fils précieux qui conduit à d’autre fils…car d’accordéon, il n’y eut pas dans ma culture transmise, familiale ou scolaire . S’il y eut de  la musique,  elle me fut de tout temps proche et inconnue, apprentie pianiste médiocre, chanteuse de chorale par obligation, danseuse de bals publics  passionnée mais sans génie et sans apprentissages.
L’accordéon, ce fut une découverte tardive, le désir de partager avec Michel une découverte pour lui aussi récente , une curiosité intellectuelle et fascinée pour cet instrument mal aimé…l’accordéon est devenu toute une aventure….
« L’accordéon y a pas que »…mais il nous ouvre des chemins de musiques multiples qui parfois retrouvent  et recroisent des chemins anciens …

Et donc nous découvrons David Venitucci et « Cascade »….

En plage 10, une mélodie prégnante , de celles qu’on n’oublie pas . Qu’on écoute avec obstination des fois et des fois… :  « Tiens, je me dis avec u peu d’étonnement  c’est de Léo Ferré !!! » (presque : c’est pourtant de Léo Ferré !)
ET c’était « Avec le temps …. »

Puis le fil se perd en croisant d’autres fils, la rencontre magique de Garcia Fons par exemple …

Avec le temps …qui passe…et tant de musiques qui nous attachent au passage….
Et puis vient « Trio »(il sera enregistré en Janvier !) et toujours sur ma même superbe introduction de David, notes égrenées en plan multiples dont la montée émotionnelle  prépare la mélodie que déroule, ligne claire et prenante , le trombone « aérien [1]» de Denis Leloup, et le charme agit …



Et puis, quand nous le rencontrons, David chaque fois nous parle d’ Annick Cisaruk, sa compagne qu’il accompagne pour  chanter Léo Ferré …
Et le temps passe …Michel, curieux impénitent, ne résiste pas à l’achat de « Léo Ferré, l’âge d’or ». Il me dit : « C’est beau ! tu sais … »
Moi, depuis que je me suis prise de passion pour le son de l’accordéon, et que j’ai perdu « les voix chères qui se sont tues » ( sans même parler de Brassens) celles de  Barbara, Nougaro ,Jean Ferrat, et même de France Gall et Michel Berger, je ne m’intéresse plus aux chansons, toute absorbée par les instrumentaux … Le scat à la rigueur … !


Mais on ne résiste pas l’appel de l’accordéon de David
Je me suis mise à écouter leur disque, avec obstination, comme tout ce que j’écoute, et je ne le regrette pas !!!
D’abord la voix d’Annick Cisaruk est magnifique, de nuances, de souplesse, de puissance,  agile et ronde …
Et le choix des chansons me ravit…
Car, outre des chansons très connues de Léo Ferré :
Joli Môme
La vie moderne
…je découvre des musiques qu’il a composées sur des textes que j’ai toujours adorées :
Sépulture, sombre Baudelaire
O triste de Verlaine
L’étrange et surréaliste Marizibill , d’Apollinaire
Et deux précieux textes d’Aragon :
L’Etrangère
L’Affiche Rouge

Toutes superbement « orchestrées» et interprétées par David.
 Et d’une écoute à l’autre  je m’éprends de Léo Ferré :
Les Albatros ,dérision exquise,
Le bonheur,
La lune,
Et sommet du plaisir , conclusion suprême, voilà encore le merveilleux Avec le temps, où la belle voix d’Annick interprète remarquablement, la mélodie qui me hante …..


Avec le temps:





[1] Le terme est emprunté à un article qui me parait  remarquable , trouvé dans Citizen jazz du 21/11/2012 .Olivier Acosta.
http://www.citizenjazz.com/David-Venitucci-Trio-a-L.html