jeudi 25 janvier 2018

AGATHA CHRISTIE par KENNETH BRANAGH


Agatha Christie, depuis ces dernières années, comme on l’aime !
Moi, il y a longtemps que je l’aime…Depuis, que jeune étudiante de lettres, au sortir de la Fac où m’enseignaient «  de grands professeurs de lettres », je me précipitais dans la rue voisine dans la vaste librairie –Presse qui faisait le coin, pour choisir quantité de ses petits livres jaunes (d’occasion) ! A moitié gênée , à moitié fière de ma marginalité, en un contexte où il était de bon ton de préférer Sartres  à Camus, Rousseau à Voltaire , et  où les seuls polars pouvant prétendre au statut d’œuvre littéraire   étaient ceux de la Série Noire, ou ceux de Dashiel Hammett, dont l’écriture – effectivement remarquable- s’inscrivait dans le courant de Dos Passos ou de Steinbeck, psychologie du comportement, point de vue externe, cinématographique,  etc etc ….
Ceux-ci d’aiileurs me passionnaient intellectuellement, et  j’en lisais avec intérêt les œuvres les  plus  représentatives 
…Tandis que  je dévorais l’œuvre d’Agatha !




Plus tard, prof de lettres brevetée !, j’osais assumer sa défense : « Sous le montage factice du monde qu’elle  a créé, une vision tragique de la vie où Comme chez Hitchcock, certaines scènes inspirent  le sentiment  poignant de l’irréversible. La petite bonne un peu sotte, que son amoureux attendra en vain, le mari volage et adoré, poignardé alors qu’il s’amendait, la petite serveuse endimanchée comme une citadine, étranglée en tournant le  coin de son rêve… 
 Tandis que ses montages machiavéliques  de « meurtres  parfaits » témoignent  par leur artifice même de la vanité de l’ingéniosité humaine… »
Ou bien plus angoissant, comme les dénouements de Molière, ces montages avortés ne signifient-ils pas que la conclusion serait inéluctablement tragique sans l’intervention providentielle de deux dei ex machina, à la fois invraisemblables, et d’une existence  romanesque évidente ?
Et, est-ce pour cet absurde en filigrane dans l’œuvre, ce tragique de la vie ressenti en dépit des  sourires, que suscitent le tricot de Miss Marple et sa nièce référence, la moustache d’Hercule Poirot, sa vanité,  son ordre et sa gourmandise maniaques, est-ce pour ces raisons que depuis quelques temps le Cinéma  et la télévision redécouvrent  Agatha ?
Pascal Thomas, dont le choix , « l’heure zéro » ,me semble bien caractéristique du versant grave de  « la vieille dame anglaise ».Puis Anne Giafferi et Marielle Magellan,  avec des choix d’œuvres parfois moins  connues, illustrent  aussi ce même regard ambigu sur le monde…je pense à « Cinq petits cochons » dont jamais je ne peux oublier  la tristesse , ou à ABC contre Poirot et bien d’autres …
En même temps que parti est tiré de l’humour  inhérents aux personnages..Hercule Poirot, Miss Marple, un peu ridicules parfois, et conscients de l’être.
Mais aussi deux détectives porteurs de justice, épris de vérité,  riches de raisonnement, et en même temps d’humanité et d’empathie, grâce auxquels les personnages échappent de justesse à la logique tragique du monde…
Et voilà qu’en 2017, c’est Kenneth Branagh qui choisit de « s’incarner » dans le personnage d’Hercule Poirot , choix total, puisqu’il en assume le rôle comme acteur, mais aussi l’aventure en tant que réalisateur…


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"ACHILLE  POIROT????
-HERCULE !!!!!
C’est son nom au générique, autant que celui d’Agathe  Christie,  qui m’a incitée vivement à m’y précipiter
Parce que Kenneth Branagh je ne savais ni  qu’il était un acteur renommé, ni un réalisateur confirmé !
Pour moi il était le commissaire Wallander, sombre et attachant dans un monde sombre, le personnage de Henning Mankel, humain, dépressif, perméable à toutes les failles humaines dans l’infini des plaines de Suède, qu’il incarne  avec sobriété, et une évidente présence .
Et je me l’imaginais animé du désir profond d’incarner cet  autre policier, humain certes, averti du mal du monde, mais en outre positif, un  redresseur de destin. Et cela au point non seulement de jouer son rôle, mais même de construire autour de lui toute la réalisation de l’œuvre célèbre d’Agatha, pour une nouvelle interprétation …
Et voilà! pour le personnage, une moustache, sa moustache fétiche , particulièrement mise en exergue , soignée, peignée, mise en plis avec un soin maniaque …mais interprétée en gris, grise comme les cheveux de Kenneth Branagh ! costume clair mais chic british , manies de l’ordre, cravates rencontrées redressées , œufs  coques mesurés, acceptés, refusés…vanité à faire sourire, avec trouvaille maison parfois : « Achille  Poirot ? –Hercule !!! »   générosité humaine , comme l’orignal, plus que l’original… ?
Le combat entre l’exigence de la vérité, la prise en compte du malheur subi par les victimes voit finalement le triomphe de l’empathie, en une scène pathétique et le jeu sobre mais plein d’émotion de Kenneth Branagh …
Autour de lui un système de personnages choisis selon une interprétation  fidèle du roman en un grand luxe d’acteurs talentueux, pour un huis clos de luxe, dans un luxueux train mythique.
Pour le contexte environnant, jeu puissant de contrastes : effets de foules bruyantes, et violentes dans des lieux prestigieux, beaux et inquiétants , Istanbul puis Jérusalem , couleurs chaudes   et agitation …Puis  les moyens techniques remarquables du film apportent aux extérieurs la  dimension d’un espace grandiose ,  désert glacé et artificiel dans sa beauté d’étendues de neige, couleurs violemment contrastées , à la Hitchcock ,effets spéciaux  saisissants , le champ grand angle pour l’immensité   du paysage  ,  la construction gigantesque, en poutres de bois croisées, d’un étrange viaduc. 
 Puis pour moi plus saisissante encore,  l’image du train , mécanique puissante dont l’espace intérieur semble démesuré, qui apparait soudain ,quand le plan change, perdu comme un train jouet serpentant dans l’immensité des vallées vertigineuses Jusqu’à ce que survienne  l’ avalanche, énorme,  dans un vacarme fracassant,  surréelle …  
A l’artifice glacé des extérieurs répond en contrepoint le huis clos doré et chaleureux de l’intérieur du train .
A l’artifice contribuent aussi la composition des personnages ,tous  célèbres , tous reconnus , et salués respectueusement :  Tous  faux ! Tous à l’identité fallacieuse !Tous autres … !

Fin à la Molière , ou à la Corneille ! découvertes de la machinerie d’Agatha Christie  « Vous… !!!! »
Négation du tragique inéluctable, dénoué par le Grand Hercule, qui accepte de taire  son triomphe , sa découverte de la vérité, pour qu’une autre justice triomphe celle des victimes !!!

Clin d œil final…
Un huis clos sur le Nil attend  Poirot l’Unique : un Crime sur le Nil...  à résoudre !

Puisque toute interprétation, toute relecture,  est transformation et fidélité à la fois, puisque de là découle le plaisir esthétique …
J’ai eu bien du plaisir esthétique à regarder ce Crime  de l’Orient Express…