samedi 30 juillet 2016

Insomnie et poésie..une mouette...

Mouette à l'essor mélancolique
Elle suit la vague ma pensée
A tous les vents du ciel balancée
Et biaisant quand la marée oblique...

Une nuit , une des ces nuits qui cessent de dormir vers 4 heures et agitent l’esprit de préoccupations et d’ angoisses , tourne manège dans ma tête…je décidai d’y échapper en détournant  mon esprit de cet angoissant manège en l‘occupant par  d’autres pensées plus anodines et salutaires, penser au passé , exercer ma mémoire à  me souvenir du passé heureux , de ceux de ma vie personnelle , que j’ai aimés, les moments partagés…ou pas, ceux de l’histoire que j’ai vécue ou du moins connus, leurs noms …
Peut-être est-ce un bon exercice de mémoire, mais par la tension d’esprit qu’il impose,  ce n’est guère excellent pour retrouver le sommeil….Rien d’une berceuse ….
De l’idée de berceuse à celle de litanies, de litanies à prières, de prières à poèmes, j’ai soudain pensé a une anecdote racontée par P Valéry, un de ces « Ravis de la Poésie » que j’ai tant aimés…Il racontait donc, à l’appui de sa théorie poétique (j’ai oublié  où !!!), qu’un de ses amis amateurs de vers contraint de subir une ( petite j’espère) intervention chirurgicale sans anesthésie, essaya d’endormir sa douleur par la  puissance incantatoire d’une   récitation de poèmes …
…Que j’imaginais en alexandrins , ces vers dont le rythme s’accorde si bien à la respiration et au bercement …
…et de rechercher dans ma mémoire des vers porteurs de musiques qui calment, et c’est à Baudelaire que je pensai d’abord
« Cheveux bleus pavillon de ténèbres tendus…… »
Baudelaire…bien sûr !
Quel alexandrin pourrait mieux convenir au bercement mélancolique d’une insomnie tourmentée… 
« La mer, la vaste mer console nos labeurs… »
« Quel démon a doté la mer, rauque  chanteuse »
« Qu’accompagne l’immense orgue  des vents grondeurs
«  De cette fonction sublime de berceuse … »

Quel rythme, quelle harmonie vocalique pourrait mieux adoucir le souci qui me tient éveillée..
Ainsi  je me grise de la musique des mots …

Mais la musque des mots n’est pas  musique pure les mots se pressent en moi et évoquent… évoquent…
« Mille pensers dormaient, chrysalides funèbres
« Frémissant doucement dans les lourdes ténèbres
« Qui dégagent leur aile et prennent leur essor… »

Plaintes , angoisses, regrets…

Pourtant des vers baudelairiens il y en a de plus colorés , dont  l’envol léger allège l’angoisse de la nuit…
Par exemple :
« Mon enfant, ma sœur
« Songe à la douceur,… »
Mais oui ! le vers imper,  comme une tendre  balancelle,  suspendu, donne à respirer comme le souffle du premier sommeil…
Et conjure le calme …et parle de lumière surréelle,  propice à l’endormissement …
« Les soleils couchants
Revêtent les champs, les canaux,  la ville entière
D’hyacinthe et d’or….
Le monde s’endort dans une chaude lumière… »

La douceur pleine et la chaleur  des sons vocaliques  achèvent l’alchimie …
Mais bien sûr, des vers isolés ne font pas un poème, et je me prends à les réordonner et à retrouver ceux qui manquent pour faire un tout , l’objet poétique dans toute sa présence.

Et le vers impair de Baudelaire ne dit pas tout du vers « impair »…

Et voilà que je je me prends au jeu de retrouver ailleurs la douceur de ce rythme suspendu , je me dis Verlaine bien sûr  ,et je pense à la mer encore,  et à cette mouette fascinante, que Jan  Lundgren a su faire s’envoler dans mon imaginaire…

« Je ne sais pourquoi
« Mon esprit amer
« D’une aile inquiète et folle
« Vole sur la mer

« Tout ce qui m’est cher
« D’une aile d’effroi
« On esprit le couve au ras des flots
« Pourquoi , pourquoi ?

Me revenaient des groupes de vers, des lambeaux de strophes, et aussi des manques que je tentais de combler en me servant du sens …
Et je redécouvre l’évidence , ce que j’ai toujours su intellectuellement que la place des mots n’est pas indifférente, bien évidemment …
Et je tâche de replacer en  un puzzle magique, les poignées de mots qui se pressaient dans ma mémoire…en essayant le son, le rythme …


Mais cette mouette, cette mouette qui s’associe à la Mer, cette mouette qui me rappelle celle de Jan Lundgren, m’échappe, tant le vers  impair semble de surcroit irrégulier , tant la reprise des vers en refrain n’est pas forcément identique…
Quelle merveille que cette variation construise une telle sensation d’harmonie…
« Parfois si tristement elle crie
« Qu’elle alarme au loin le pilote…
Normal ? mais surprise !
« Qu’elle alarme au lointain le pilote ! »

C’est mieux car c’est autre ! et surprenant …

Au fil du temps…
Au fil des insomnies…
Au fil des vérifications diurnes…
Le voilà retrouvé !
LE POEME !
Et avec lui, la conscience émerveillée qui doit être proche de celle du musicien que le choix , la place, la couleur des mots, est orfèvrerie du sens , des sons, des  couleurs
« Quel pur  travail…..

Bien sûr , je préfèrerais dormir …mais je suis passionnée par ce travail de reconstruction, poétique et musical ; qui peut­­­-être s’apparente à celui du poète , voire du musicien ….

Moi qui n’ai pas le pouvoir de créer des poèmes, mais qui aime tant manier,  changer, déplacer ,et replacer  LES MOTS…
pour ma prose imparfaite….