dimanche 22 avril 2018

David FOENKINOS , Vers la beauté


Un titre attirant , « Vers la beauté » et l’image de Jeanne Hébuterne…

Ce qu’il y faut de signification, ce qu’il y faut de mystère.
Ce qu’il y faut aussi pour nous attirer.
 Dans une période   où le monde alentour s’agite et s’assombrit des malheurs du monde (1) et des angoisses sociales,  dans un âge de la vie, le mien, le nôtre, où s’il y a de grands bonheurs privés les nuages de l’incertitude se pressent,  la beauté , actuellement pour moi celle de certaine musique  que nous aimons et que nous poursuivons sans relâche, nous sauve de la tristesse absolue…(  Glycines et lilas aussi mais peut-être seulement parce que une Colette ou autre poète nous en a désigné l’image..) 

J’ai donc acheté « Vers la beauté » ...

Une première partie surprenante et  prenante : j’ai adoré ce prof de « Beaux Arts » qui laisse tout pour se faire « gardien de musée »
(Personnages étranges que ces gardiens qui m’ont toujours intriguée voire fascinée, auxquels je dis bonjour avec naïveté et obstination, poiur leur manifester qu’ils ne sont pas pour moi des meubles se fondant dans le décor .
Nous  en avons parfois croisé de surprenants qui nous ont fait la présentation des lieux comme hôtes hospitaliers ou même une fois expliqué comme la perspective  d’une œuvre différait suivant les endroits où l’on se plaçait pour la regarder et de nous faire essayer différents points de vue…
Bref ce premier épisode  de l’ histoire , cet Antoine qui parlait le soir seul à seul à Jeanne Hébuterne m’a séduite d’entrée ...

 Au fil des pages, rencontres   de nombre d’autres facteurs de séduction :
-Le musée d’Orsay… « Une  ancienne gare…Entre les Manet et les Monet, on peut se laisser aller à imaginer les trains arrivant au milieu des tableaux »
-Des connivences fortes, par exemple, des  jugements que nous aurions pu aussi Michel et moi partager, « les propos calamiteux » des visiteurs du Musées  : « Certains ne disaient pas « j’ai visité le Musée d’Orsay »mais « j’ai fait Orsay », un verbe qui trahit une sorte de nécessité sociale ;pratiquement une liste de courses. Ces touristes n’hésitaient pas à employer la même expression pour les pays «  j’ai fait le Japon l’an dernier »
Comme si un pays, une œuvre d’art une fois « faits » n’étaient plus à revoir, épuisés, à juste portés au compte d’un CV de la culture…de l’ordre de « Faut avoir vu… »  
-Des manières d’écrire  qui m’apparaissent comme une  fantaisie formelle , petit jeu esthétique , comme une manière de signature : par exemple  l’usage comme en documentation d’un » pseudo apparat critique »,  notes de bas de page, censées éclairer un fait , de préciser une impression, gratuitement , presque poétiquement par exemple  sur « Antoine buvait  une bière avec un parfait inconnu…même le goût de la bière lui paraissait étrange »note : on aurait dit comme une autre boisson qui se faisait passer pour de la bière ; une sorte d’imposture liquide… »  (p23)
-Une « déconstruction » cubiste  de la chronologie : un récit chronologiquement construit avec une apparente rigueur,    comme une œuvre musicale, en « parties » bien marquées,( mais sans titre),  qui ont chacune leur coloration : mais cette chronologie brouille les pistes et il  faut la reconstituer « avant « ? « après » ? la conduite du récit me semble suivre un tracé esthétique, avec ce qu’il faut d’insolite ou de désordonné dans la chronologie pour qu’on ne sache pas à quel moment se situer , qui nous égare comme la conscience du temps, qui nous oblige  à refaire plusieurs fois le chemin pour décrypter le passage du temps, et en même temps excite à sa découverte .
-Des personnages  multiples au gré des rencontres d’Antoine, le fil sur qui se focalise l’intérêt.  Sans que pour autant celui-ci soit le seul point de vue auquel on accède.
Cette multiplicité participe  à ce foisonnement non linéaire de la Vie, qui n’est pas linéaire. Il y a d’ailleurs beaucoup de femmes dans l’histoire de cet Antoine, personnages affectivement émouvants, dans un « système de rôles » différents :
Esquisses efficaces, Mathilde la DRH du musée d’Orsay, mais pas que… Louise ,l’infidèle, Eléonore l’affectueuse sœur, Isabelle la mère, Sabine la maîtresse d’Antoine et la femme du violeur, elles sont pour Antoine le  labyrinthe des amours , des désirs,  des séductions.
Enfin lumineuse, et  fragile, et dévastée par le viol, Camille,  (souvenir de la Camille de « On ne badine pas avec l’Amour ?)
Les hommes sont plus transparents, des rôles sociaux, hormis le malsain et répugnant violeur.

-La personnalité pour nous attachante d’ Antoine : c’est un enseignant selon mon cœur ; son goût passionné pour ce qu’il enseigne, l’intérêt qu’il  porte à ses élèves,  sa sensibilité à leurs intérêts, leur comportement, la fascination qu’il exerce sur eux  et le souci qu’il en a…
Et c’est l’Art qu’il « enseigne » !

 MAIS…
 Malgré la séduction immédiate de la situation de départ, malgré  toutes les connivences ressenties en déroulant le texte, je n’échappe pas ensuite à une  sorte de déception.
 Je l’avoue , moi qui écrivais récemment que je déplorais    «La  Mort des histoires » aujourd’hui (au sens Hégélien), au profit de la toute puissance de la Réalité , tout à coup je me dis « Vers la beauté » n‘est finalement qu’ une histoire (de plus) ,une  histoire récurrente d’ amour trahi : bien raconté avec une certaine sobriété, conduit avec une vraie tension dramatique, dynamique, qui retient le lecteur, la souffrance de la défection, l’impossibilité à se résigner …
Même c’est une histoire dans L’air du temps ! par l’évènement central choisi : le viol, son effet dévastateur, la fragilité de sa victime, son dénouement irrémédiable,  tragique.

Et puis NON ! En fait en redéroulant le récit encore et encore :
Non! le thème fondamental, le ressort dramatique, ce ne sont ni les ruptures amoureuses, ni les évocations érotiques, ni la violence sexuelle,  c’est bien la quête de la beauté :
Bien sûr, l’originalité du roman, c’est la Beauté !  sa recherche est le ressort du récit.

Antoine et Camille,  Antoine et Mathilde …. Orsay, Modigliani, Jeanne Hébuterne, elle provoque leurs rencontres, leur partages intimes autant que forts de l’Emotion esthétique, elle leur apparait comme la ressource suprême à leurs souffrances : Orsay , Modigliani et Mathilde consolent Antoine de l’abandon de Louise , le dessin pour Camille, puis les cours d’Antoine qui s’y associent, semblent avoir, pour un temps,  raison de  son Malheur . Mais la Tragédie,  qui se détend toujours au 4ème acte , se réenclenche de plus belle au cinquième !  Camille, «  on ne badine pas avec l’Amour !!! »

C’est encore l’Art , les tableaux de Camille, son autoportrait, leur exposition, qui offrent à Antoine une possibilité de survie , comme aller travailler à Orsay l’avait sauvé du désespoir et le nom de Mathilde en avait été l’oracle !



Ps : A propos de connivences, j’ai lu une interview de D. Foenkinos concernant ses goûts de lecture, je n’en partage aucun !!! à preuve pour moi que la communication avec  un auteur ne passe que par ses livres…Conviction de toute ma vie

note (1)"Si Rambert voulait partager le malheur des hommes , il n’aurait plus jamais de temps pour le bonheur" Camus,"La peste"






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