lundi 21 février 2011

La littérature « ordinaire » selon CH.Baudelot.

Du rôle de la littérature dans la vie ou Les héros de ma culture "ordinaire"

En songeant à tous les polars que je lis , -prof de littérature déchue- !!!, à toutes les séries que je regarde à la télé, je médite souvent sur la distinction entre lecture ordinaire et lecture savante, telle que l’établissait C.Baudelot(1) : la première à l’instar de la culture populaire, trouve son ancrage dans l’ espace de vie du lecteur, ce qu’il vit ou a vécu, les questions qu’il se pose , ses doutes, ses angoisses, ses joies ; elle lui renvoie un écho de sa propre vie ou même lui donne un sens. Elle est pour ainsi dire impliquée.
La deuxième a une visée esthétique, s’inscrit dans le contexte du champ artistique, s’opère au travers du prisme de la culture littéraire ou des valeurs esthétiques .Elle suppose une forte prise de distance par rapport à l’œuvre et une connaissance objective du champ dans lequel elle s’inscrit…Elle est distanciée.

Et je me disais que les polars nous donnent de la vie à penser, des angoisses à surmonter, des joies à espérer, indépendamment parfois de leur composition esthétique. J’y voyais l’exemple même d’objets de culture « ordinaire ».
Mais c’était en somme un contresens, ce ne sont pas les œuvres qui sont ordinaires, je me refuse d’ailleurs à admettre qu’il y ait des œuvres ordinaires…

C’est l’usage qu’on en fait qui l’est, au sens le plus laudatif du mot ordinaire, au sens de quotidien, nécessaire, évident, courant, inhérent à la vie.

En fait on peut donc faire aussi une lecture vitale, et en ce sens ordinaire, des œuvres réputées littéraires.

Ainsi dans les œuvres que j’ai « étudiées », certaines ont été pour moi objet esthétique et d’autres, et pas des moindres, ont eu pour moi fonction vitale, qu’elles m’aient consolée, rassurée, enseignée, ou rendue tout simplement heureuse…

On peut ainsi aimer, mettre « à son ordinaire », Molière et Simenon , Valéry et Prévert, Bach et les Tarentelles , Satie et les tangos, Les Platters et Th.Monk, la grammaire et les polars, Agatha Christie et Fred Vargas, sans être frappé d’ostracisme par les gardiens de la culture.
La distinction ne tient pas à la qualité de l’œuvre mais à la fonction vitale qu’elle a pour nous.
 
Rencontres fondamentales, héros de ma culture « ordinaire »…

Selon le poète,
« Il y a des mots qui font vivre …
"Le mot enfant et le mot gentillesse
« Et certains noms de fleurs et certains noms de fruits
« Et certains noms de pays de villages
« Et certains noms de femmes et d’amis
« Ajoutons-y …. »

Ajoutons-y les héros de ma culture ordinaire...

Ajoutons y Molière : quand j’enrage de l’égoïsme monstrueux du notre vieil aïeul, tu agites, bateleur génial, ton Harpagon ou le vieux Géronte… jusqu’à ce que j’en rie…
Quand je ne parviens pas à faire comprendre à mes stagiaires ou mes élèves, l’utilité qu’on trouve à démonter le système grammatical, « puisqu’ après tout on apprend à parler sans cela » disent-ils, je leur raconte Monsieur Jourdain, je leur parle plaisir, jubilation, folie, pas utilité, pas nécessité, pas « faut qu’on »…

Quand le monde me paraît fou, retors, pourri, quand je tourne vieux con, Cacambo me dit de ne pas perdre espoir, qu’une rivière mène toujours quelque part, Candide me renvoie à mes fleurs que j’aurais pu négliger…
Ajoutons-y Voltaire

Quand je me lamente de l’accession d’un médiocre au pouvoir, ou un peu dépitée, du succès à l’édition d’un cuistre de mes connaissances, Figaro me dit « Il y fallait un calculateur ce fut un danseur qui l’obtint !!!» et il sème ma route "d’autant de fleurs que sa gaîté native le lui a permis…"
Ajoutons-y Beaumarchais
 
Quand je fus angoissée de ma vue qui baissait et de mes yeux à opérer, Cadfaël me parla des simples qui soignent, des fleurs qui apaisent, des rivières, et même, mécréante que je suis, de la sagesse de Dieu…
Ajoutons-y Ellis Peter

Il y a des auteurs qui font vivre parce qu’ils donnent à penser sa propre vie. Ce ne sont pas forcément ceux que l’on qualifie de grands auteurs, mais ce sont parfois eux aussi, tous ceux qui à certains moments de notre vie nous aident avoir l’énergie, la confiance.

Parce que sa musique est vitale, qu’elle restitue à chacun un peu de sa vitalité naturelle,
Parce qu’il incarne pour moi une certaine idée de l’art qui puise aux racines populaires mais jette un pont entre toutes les musiques .
Parce que le son de son accordéon est beau, plein, clair, joyeux mais subtil,
Ajoutons-y Galliano !







 1.Ch. Baudelot, M.Chartier, CH.Detrez : Et pourtant ils lisent....Seuil 1999

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