mercredi 9 novembre 2016

Livres de chevet


 Un livre de chevet ? c’est  souvent me semble-t-il , à l’instar des bibles qu’on déposait sur la table de nuit,  à son « chevet », un livre pour accompagner notre vie,  un livre de référence , dont la lecture récurrente nourrit quasi  quotidiennement  notre réflexion sur la vie, et apaise l’esprit le soir avant de plonger dans  la profondeur  apaisante- ou inquiétante ?- du sommeil….
Bref une telle conception semblerait connoter des livres graves, sérieux, de portée sinon religieuse ou philosophique, du moins chargés d’une sorte de gravité ou de profondeur….

Et je souris,  en regardant les livres qui s’accumulent à mon chevet !

Un jour un de mes amis FB nous a demandé de dresser liste des livres qui avaient marqué notre vie. Cette pertinente demande m’a fort intéressée.  Mais après les premiers titres surgis d’emblée, l’afflux fut tel et surtout si divers, pour ne pas dire disparate, que j’en fus désorientée…
J’ai été obligée finalement  d’y mettre un peu d’ordre et comme tout tri nécessite critère, j’ai  pensé que livre de chevet c’était  pas si simple ni évident, que les empilements de livres qui séjournent sur ma table de nuit, aux alentours de mon bureau ou sur les étagères  près  des fauteuils du séjour formaient finalement des cumuls sédimentaires variés dont l’analyse  n’était pas sans intérêt.

 Dans «  Les livres de ma vie » , il y a d’abord les premiers , ceux qui marquèrent mon enfance : je crois que je me rappelle le tout premier achat : une librairie à l’ancienne, au Sablar, avec mon père, c’était « Les petites filles modèles », et déjà commençait ce tri quasi intuitif qui préside à nos choix : oui à Camille et Madeleine, et la comtesse de Ségur, oui à l’Auberge de l’Ange Gardien ! et au Général Dourakine ! mais non aux malheurs de Sophie ! non à Un bon petit diable !
Une merveille dont je ne rappelle même pas l’auteur « Hilde aux cheveux d‘or », mais dont je me rappelle la fascination durable, les images et la lecture réitérée…
« Madame Thérèse » que j’ai tant aimé qu’il m’arrive parfois de le relire à l‘entrée de l’hiver…
Tant de «Bibliothèque rouge et or » ou de « Bibliothèque verte » dévorés jusque tard dans la nuit dont j’ignore les auteurs…
Ceux- là étaient en fait des livres de chevet, de ces livres qui construisent un monde qui nous offrent la bulle irisée dans laquelle on trouve l’apaisement et le sommeil…
Ce sont aujourd’hui…les polars, les « roses », ou  pas forcément si roses que cela, mais qui offrent sans doute des univers positifs, par l’espèce de vertu de certains de leurs personnages.
Il y a dans certains personnages une force ,une humanité,  une réalité qui en font des compagnons proches de nous , dans nos doutes,  nos certitudes, ou nos angoisses , le Moine  Cadfael ( Anne Perry)à l’instar du Guillaume de Baskerville du « Nom de le Rose »(Umberto Eco) dont il est la face résolument lumineuse , Hercule Poirot ou Miss Marple dans un univers fictionnel pas si rose qu’on le dit souvent, ont le pouvoir de vaincre  la force du malheur…
De ce point de vue, le remarquable commissaire Adamsberg de Fred Vargas, création originale et décalée, doté de caractéristiques non-réalistes, qu’on peinerait à se représenter dans le réel (et les acteurs qui lui ont prêté corps, postures et psychologie, pour excellents qu’ils furent, n’en ont pas épuisé l’irréalité) possède paradoxalement une évidence, une présence, à laquelle on croit ! , et une force apaisante à laquelle on aime s’abandonner ...
A leur côté curieusement veillent d’autres personnages lumineux dans  d’autres textes que je ne me lasse pas de relire, le docteur Rieux et ses compagnons prisonniers de «  La Peste », Candide ou « l’Optimisme » , Denise  Baudu et Octave Mouret dans leur « Bonheur des Dames »…Robinson et son Vendredi dans leur «  Vie sauvage »ou leurs « Limbes du Pacifique »…et bien d’autres qui traversent mes journées et mes veillées…Gigi et Phèdre ,Tartuffe et Marius, madame Thérèse et Bérénice … !

Et je repense à l’affirmation de Barthes que le plaisir du texte ne passe pas forcément par la qualité d’écriture ou la portée  morale.
C’est vrai que la force des personnages, peut-être  quelque chose en eux d’humaniste, et la tension dramatique de leurs destins s’imposent à moi primordialement, au point que j’ai peine à « ne pas savoir la suite de l’histoire », fût-ce dans le pire nanar, suscitant l’ironie de mes proches …
Néanmoins c’est bien la qualité du texte qui assure leur qualité d’un livre « de chevet »
D’abord parce que la perception de la beauté de l’écriture est plus nette quand on n’est plus captivé par la seule attente de ce qui va arriver et que l’on prend en quelque sorte le temps de savourer cette beauté.
..La manière dont est mené le récit, si propre au narrateur, rapide, ou s’attardant, usant de comparaisons, ou précise et ramassée, le point de vue  choisi, la ligne pure du fil des évènements, ou au contraire tissée de certaines évocations descriptives ou poétiques :
Ô les évocations d’Oran, les bûchers et  les fleurs,  l’odeur de la mer, ô le jardin du Luxembourg et la fascinante et monstrueuse vie du Bonheur des dames, ô les jeux de langage oulipiens des personnages de Fred Vargas, à la fois présents dans tous ses romans et toujours différents …ô le délice des personnages secondaires !....

C’est ce plaisir du texte qui éveille le désir de relire encore et encore, donne à certains livres le pouvoir  d’être relus inlassablement sans en épuiser le plaisir…comme il en va des musiques d’élection, que nous pourrions elles  aussi appeler nos « musiques de chevet »…
En fait ce qui caractérisent  livres et musiques de notre vie, c’est le pouvoir qu’ils possèdent de renouveler indéfiniment le plaisir de leur lecture, ou de leur écoute.
C’est aussi leur vertu de livres ou musiques de chevet, non qu’ils nous endorment ! mais nous offrent,  toujours renouvelé, un sentiment de plénitude et de sérénité, apaisant  comme... une prière du soir ...!







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