Un livre de chevet ? c’est souvent me semble-t-il , à l’instar des
bibles qu’on déposait sur la table de nuit,
à son « chevet », un livre pour accompagner notre vie, un livre de référence , dont la lecture
récurrente nourrit quasi quotidiennement
notre réflexion sur la vie, et apaise
l’esprit le soir avant de plonger dans
la profondeur apaisante- ou
inquiétante ?- du sommeil….
Bref une telle conception semblerait
connoter des livres graves, sérieux, de portée sinon religieuse ou philosophique,
du moins chargés d’une sorte de gravité ou de profondeur….
Et je souris, en regardant les livres qui s’accumulent à
mon chevet !
Un jour un de mes amis FB nous a
demandé de dresser liste des livres qui avaient marqué notre vie. Cette
pertinente demande m’a fort intéressée. Mais
après les premiers titres surgis d’emblée, l’afflux fut tel et surtout si divers,
pour ne pas dire disparate, que j’en fus désorientée…
J’ai été obligée finalement d’y mettre un peu d’ordre et comme tout tri
nécessite critère, j’ai pensé que livre
de chevet c’était pas si simple ni
évident, que les empilements de livres qui séjournent sur ma table de nuit, aux
alentours de mon bureau ou sur les étagères
près des fauteuils du séjour
formaient finalement des cumuls sédimentaires variés dont l’analyse n’était pas sans intérêt.
Dans « Les livres de
ma vie » , il y a d’abord les premiers , ceux qui marquèrent mon
enfance : je crois que je me rappelle le tout premier achat : une
librairie à l’ancienne, au Sablar, avec mon père, c’était « Les petites
filles modèles », et déjà commençait ce tri quasi intuitif qui préside à
nos choix : oui à Camille et Madeleine, et la comtesse de Ségur, oui à
l’Auberge de l’Ange Gardien ! et au Général Dourakine ! mais non aux
malheurs de Sophie ! non à Un bon petit diable !
Une merveille dont je ne rappelle
même pas l’auteur « Hilde aux cheveux d‘or », mais dont je me rappelle
la fascination durable, les images et la lecture réitérée…
« Madame Thérèse » que
j’ai tant aimé qu’il m’arrive parfois de le relire à l‘entrée de l’hiver…
Tant de «Bibliothèque rouge et
or » ou de « Bibliothèque verte » dévorés jusque tard dans la
nuit dont j’ignore les auteurs…
Ceux- là étaient en fait des
livres de chevet, de ces livres qui construisent un monde qui nous offrent la
bulle irisée dans laquelle on trouve l’apaisement et le sommeil…
Ce sont aujourd’hui…les polars,
les « roses », ou pas
forcément si roses que cela, mais qui offrent sans doute des univers positifs,
par l’espèce de vertu de certains de leurs personnages.
Il y a dans certains personnages
une force ,une humanité, une réalité qui
en font des compagnons proches de nous , dans nos doutes, nos certitudes, ou nos angoisses , le
Moine Cadfael ( Anne Perry)à l’instar du
Guillaume de Baskerville du « Nom de le Rose »(Umberto Eco) dont il
est la face résolument lumineuse , Hercule Poirot ou Miss Marple dans un
univers fictionnel pas si rose qu’on le dit souvent, ont le pouvoir de
vaincre la force du malheur…
De ce point de vue, le remarquable
commissaire Adamsberg de Fred Vargas, création originale et décalée, doté de
caractéristiques non-réalistes, qu’on peinerait à se représenter dans le réel (et
les acteurs qui lui ont prêté corps, postures et psychologie, pour excellents
qu’ils furent, n’en ont pas épuisé l’irréalité) possède paradoxalement une évidence,
une présence, à laquelle on croit ! , et une force apaisante à laquelle on
aime s’abandonner ...
A leur côté curieusement veillent
d’autres personnages lumineux dans
d’autres textes que je ne me lasse pas de relire, le docteur Rieux et
ses compagnons prisonniers de « La Peste », Candide ou
« l’Optimisme » , Denise Baudu
et Octave Mouret dans leur « Bonheur des Dames »…Robinson et son
Vendredi dans leur « Vie sauvage »ou leurs « Limbes du Pacifique »…et
bien d’autres qui traversent mes journées et mes veillées…Gigi et Phèdre
,Tartuffe et Marius, madame Thérèse et Bérénice … !
Et je repense à l’affirmation de
Barthes que le plaisir du texte ne passe pas forcément par la qualité d’écriture
ou la portée morale.
C’est vrai que la force des personnages,
peut-être quelque chose en eux
d’humaniste, et la tension dramatique de leurs destins s’imposent à moi
primordialement, au point que j’ai peine à « ne pas savoir la suite de
l’histoire », fût-ce dans le pire nanar, suscitant l’ironie de mes proches
…
Néanmoins c’est bien la qualité
du texte qui assure leur qualité d’un livre « de chevet »
D’abord parce que la perception
de la beauté de l’écriture est plus nette quand on n’est plus captivé par la
seule attente de ce qui va arriver et que l’on prend en quelque sorte le temps
de savourer cette beauté.
..La manière dont est mené le récit,
si propre au narrateur, rapide, ou s’attardant, usant de comparaisons, ou
précise et ramassée, le point de vue choisi,
la ligne pure du fil des évènements, ou au contraire tissée de certaines
évocations descriptives ou poétiques :
Ô les évocations d’Oran, les
bûchers et les fleurs, l’odeur de la mer, ô le jardin du Luxembourg
et la fascinante et monstrueuse vie du Bonheur des dames, ô les jeux de langage
oulipiens des personnages de Fred Vargas, à la fois présents dans tous ses
romans et toujours différents …ô le délice des personnages secondaires !....
C’est ce plaisir du texte qui
éveille le désir de relire encore et encore, donne à certains livres le
pouvoir d’être relus inlassablement sans
en épuiser le plaisir…comme il en va des musiques d’élection, que nous
pourrions elles aussi appeler nos
« musiques de chevet »…
En fait ce qui caractérisent livres et musiques de notre vie, c’est le
pouvoir qu’ils possèdent de renouveler indéfiniment le plaisir de leur lecture,
ou de leur écoute.
C’est aussi leur vertu de livres
ou musiques de chevet, non qu’ils nous endorment ! mais nous offrent, toujours renouvelé, un sentiment de plénitude
et de sérénité, apaisant comme... une
prière du soir ...!
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