vendredi 30 septembre 2011

Enfances croisées ou "les devoirs du soir"...

Il était une fois une petite fille, soucieuse de bien travailler à l’école, mais plus encore éprise de promenade, de lecture, de cinéma. Car à cette époque la télé n’existait pas …chez elle…
Ce qu’elle aimait bien, c’était aller en classe, y apprendre des choses , rigoler avec les copines, se moquer des « demoiselles » qui enseignaient au « Lycée classique de jeunes filles » …Mais quand elle sortait de classe,  après avoir flâné sur le chemin du retour avec Cécile , qui tournait à la première rue à gauche, et Danièle, sa voisine, qu’elle accompagnait chez elle un peu plus loin dans l’allée avant de rentrer, après avoir goûté, « tchaché »avec son père ou sa mère, quand ils étaient là, quelle aubaine !!!, ce qu’elle n’aimait pas, c’était de faire ses devoirs…

Le soir néanmoins, c’était assez vite plié, après on pouvait encore jouer un peu au Jokari, par le beau temps d’automne ou de fin de printemps. Ou bien inventer d’interminables scénarios aves les poupées alignées, Roger le baigneur, et le Lapin rose….

Mais le samedi soir et surtout le dimanche, l’idée de ce travail lui pesait comme un pensum…Pendant bien des années, elle put s’en libérer au plus vite. Mais vers les années de collège, ayant donné à ses parents la mauvaise habitude (contre laquelle sa sœur aînée l’avait pourtant énergiquement mise en garde : « Ne sois jamais première, jamais ! tu serais coïncée ma petite !!!! ») d’obtenir d’excellents résultats à l’école, elle se trouvait tiraillée le dimanche entre les devoirs à faire et toutes les choses délicieuses qu’on peut faire ce jour-là, coudre les habits de la poupée Françoise, aller courir le bois de Seyresse, lire la bibliothèque verte commencée le soir précédent, et surtout, surtout, aller promener avec les parents, son père en particulier, le dimanche matin, lui qui aimait aussi « visiter », flâner dans les rues… Ô les dimanches en week end à Bordeaux, chez les grands parents, ô les pavés, ô les camelots du boulevard Victor Hugo, ô les Puces de saint Michel….
Les dimanches après midis d’hiver, il y avait aussi parfois cinéma, ô Quo Vadis, ô Scaramouche …,avec Eliane ou Cécile, ou –à défaut la « dévouée » Mérotte, qui en fait adorait les « technicolors » américains .

Mais les devoirs, les devoirs dans tout ça ? Ils étaient le petit creux à l’estomac, le délice de la mauvaise conscience, le scrupule du dernier moment. Et à ce moment- là, c’est à Payou qu’il fallait confier ce scrupule juste avant de partir…
Parce que ce Payou -là disait : « Allez viens ! Il fait trop beau pour ne pas en profiter ! ou bien : Ce film après tout ne passe que ce dimanche…tu te dépêcheras en rentrant, s’il faut je t’aiderai !!! »



A peu près à la même époque grandissait de son côté un petit garçon, avec une raie bien droite dans ses cheveux lissés et un « kirbigrip » (= petite pince à cheveux) pour tenir la mèche rebelle.
Avant de rentrer, il avait un long trajet en tram d’abord, puis à pied, car il avait eu la chance d’être admis au Lycée de garçons de Bordeaux, le lycée Montaigne ! Alors que franchement !!! son milieu social le destinait plutôt, comme d’ailleurs son lucide, compréhensif, et progressiste, !!! instituteur de CM l’avait dit à sa mère, à une scolarité « courte » au cours complémentaire de Bègles . C’est là qu’il habitait, un lotissement plein d’enfants , agréable, entouré de champs , que longeait un joli estey( un petit ruisseau ) qui partait se jeter dans la Garonne.
Quand il rentrait donc, pas très tôt, après la classe, le champ avait des allures de terrain de foot où jouaient plein de gosses…
Ce petit garçon aimait bien le foot, et même il était assez doué à ce jeu…
Mais ce qu’on lui disait, c’était : « Tu iras jouer après, il faut toujours faire tes devoirs d’abord, tu iras après, après avoir fini tes devoirs »
Devoirs qu’il faisait soigneusement, scrupuleusement, longuement...

A l’automne, comme chacun sait, même s’il fait beau, la lumière tombe vite…
Et les devoirs finis, c’est devant un terrain déserté que le jeune garçon se trouvait . Les autres étaient allés «faire leurs devoirs » !!!

Bien sûr, j’ai dû apprendre à sacrifier mes dimanches, et mes soirées d’automne aussi bien que d’hiver, pour faire mon travail…
Bien sûr ma philosophe de vie, le métier que j’avais choisi, ont ancré en moi la conviction que le changement est possible, que l’éducation, les rencontres, un certain volontarisme rendent possible un changement ou une évolution personnels. J’ai toujours refusé d’admettre qu’on ne pouvait changer. En tant qu’enseignante d’abord puis comme formatrice, j’ai toujours haï comme criminels les destins prédits aux enfants et lutté contre les : « Il n’apprendra jamais à lire. Il est bête. Ce sera toujours un récalcitrant, Il n’est pas « doué ». Il sera toujours difficile, agité etc »…Navrée quand les faits me donnaient tort. Persuadée aussi que la prédiction était en partie responsable de ce devenir.

Mais à mesure que j’avance en âge, je suis de plus en plus frappée par la force des empreintes d’enfance. Diderot, par la voix du Neveu de Rameau (Rameau, le grand Rameau) s’enrage contre « La maudite molécule paternelle » !!!!
Je ne pense pas à un déterminisme par les gênes ou les molécules mais simplement à l’influence déterminante de l’enfance vécue.

Je demeure malgré les changements que j’ai construits en moi au long de ma vie, la fille de ce père indulgent, aidant, dilettante, lui-même tiraillé entre le désir de réussite sociale ou de travail intellectuel, et son goût des choses de la vie…Je demeure quelqu’un du dernier moment pour rendre sa copie ou finir son travail…

Quant au petit garçon au « kirbigrip », je le connais un peu, et je pense que, malgré son goût pour les surréalistes, la peinture, l’accordéon et les balades, il est resté et je ne veux pas dire (j’ai expliqué pourquoi ), "restera" toujours celui qui fait d’abord ses devoirs !

4 commentaires:

Danielle a dit…

J'aime tellement vous lire! Moi aussi je suis quelqu'un du dernier moment; mon jeune fils l'année dernière avait tant de devoir, que cela ruinait tout ses autres plaisirs - tous les plaisirs manqués d'`«après les devoirs».

françou a dit…

Merci Danielle de ce petit mot qui donne envie de continuer d'écrire...

Anonyme a dit…

super
moi aussi je suis quelqu'un du dernier moment comme maman et camillou.
Et j'attendrai le dernier jour des vacances pour finir mes devoirs.

chacha

sister for ever a dit…

Quels jolis souvenirs, finalement... devoirs ou pas!! ce qui ressort en fait c'est une belle enfance entourée d'affection!
Ce fut mon cas aussi!Moi les devoirs j'aimais bien «m'en débarrasser», prendre de l'avance, comme on disait!!!
Sauf... pour les «compositions» d'histoire géo!!! j'écoutais bien en classe, mais n'apprenais jamais les leçons! alors vite la veille du contrôle... c'est le seul cas où je travaillais après le dîner... mais il n'y avait généralement pas de miracle: les notes restaient moyennes, surtout en histoire, car en géo on apprend toujours au quotidien, sans s'en rendre compte!
Quelques années plus tard, je me suis aperçue que l'histoire était passionnante, fascinante... je crois qu'il fallait un peu de maturité pour s'en rendre compte! Bon, n'exagérons rien: je ne me suis jamais replongée dans le De Virus Illustribus!!