Depuis mon enfance, j’aime les
histoires. Peut-être est-ce ce goût fondamental qui m’a conduite insensiblement
de « La Petite Fadette » à Balzac, de Jules Verne au « Nom de la Rose », de « La fée des Grèves » à Modiano,
des « Trois Mousquetaires » à « La Peste ».
Et cela, quand j’ai commencé à
ressentir que le fil dramatique se trouvait enrichi d’un supplément de plaisir
esthétique quand il était tissé d’une
certaine écriture …J’ai recherché alors
dans la réflexion sur la littérature des clés pour comprendre ce pouvoir
des textes ….
En même temps, tout en me
prenant aux délices du récit et de la vie inventée , je glanais dans ces heures
de vagabondage dans la fiction, un certain savoir historique, une connaissance
des paysages du monde, des sociétés et
des milieux sociaux , des conditions
humaines , femmes et hommes …
La conviction de mon père,
historien érudit , et professeur d’histoire , qu’Alexandre Dumas, nous en
apprenait plus sur le règne de Louis XIV
, les mœurs du peuple aussi bien que les valeurs des « Grands », que
son cours d’histoire pourtant raffiné, retravaillé sans cesse, nourri de la
lecture assidue des grands historiens, a
dû m’ insuffler cette conviction profonde que le fictif apprenait sur le Vrai….
Cela fait souvent sourire Michel,
que Douglas Kennedy, Henning Mankell, me
semblent m’avoir appris beaucoup sur les Etats Unis ou la Suède, et le moine
Cadfael(Ellis Peter) sur le pays de Galles du XIIème siècle … ou Walter Scott
sur Jean sans terre et Richard Coeur de Lion..ou Emile Zola sur la naissance
des Grands magasins…ou Madame Thérèse (Erckmann- Chatrian)sur l’Année 93 des
armées de la Révolution Française…
Et je n’ai jamais renoncé aux bonheurs des fictions,
qui reconstruisent un monde qui a son temps et sa durée propres, un destin
abouti, malheureux ou heureux…
Un monde dans lequel on peut
s’embarquer, car suivant le contrat pas forcément tacite du lecteur et de
l’auteur, mais évident, on SAIT, évidemment pas les évènements à venir, mais la
vision du monde qu’on rencontrera : malheur assuré ou conjuré, noirceur
humaine ou générosité, personnages positifs ou maléfiques…
On peut s’embarquer en
confiance, et trouver le sommeil de la nuit, rasséréné par ce monde non hasardeux.
Livres de chevet, tels des bibles profanes.
Parfois relus encore et encore… lectures qui
renouvellent comme les œuvres musicales le plaisir ressenti, l’élargissent et l’approfondissent
de significations nouvelles …
Simenon, Fred Vargas, Agatha
Christie , Zola , Erkmann Chatrian, Emile Ajar,et tant d’autres que d’aucuns
qualifieraient de « littérature de gare », Patricia Wentworth,
, Anne Perry , Ellis Peter, Maria Lang, vous avez sur moi ce pouvoir magique …
Mais bien sûr, peut être un
peu honteuse au fond de ne pas lire de livres plus intellectuels, je suis non
moins attirée immanquablement par des œuvres qui me sembleraient plus ambitieuses,
plus dérangeantes, riches d’un « sens nouveau aux mots de la tribu »…
Alors de temps en temps je m’offre
des lectures parallèles, un été à relire « Voyage au bout de la nuit »
, un Nobel partagé avec ma petite fille, si littéraire elle, mais c’est Modiano
qui fait déjà partie de mes lectures d’élection …
Et « Titus n’aimait
pas Bérénice », « La petite fille de monsieur Ling », un
Le Clézio au hasard de mes étagères, «
Les promesses de l’aube » de Romain Gary, plutôt que « Gros Câlin » !
Ou encore,je suis avec
difficultés dans l’entrecroisement savant des moments chronologiques l’aventure
de Yersin à l’ombre de Rimbaud….
Parfois je savoure le résultat
de cet effort, la magnifique écriture de Céline , que j’avais censuré (et
censure encore !)en raison de sa réputation sulfureuse, le Racine
fascinant que Natalie Azoulai nous restitue si proche.
Parfois j’ose m’ennuyer…et me
demander quel est l’intérêt esthétique
de certaines écritures …
Et je me dis que notre temps
n’aime plus ou ne sait plus inventer les
histoires …
Comme si la fiction ne
parvenait pas à se libérer du réel, des biographies , de l’interprétation des vies réelles, Saint
Laurent , Barbara…ou déjà pour moi plus passionnant, des histoires où des
acteurs jouent des vies et des
personnages inventés tout en restant
conformes (sans doute) à leur propre personne…comme dans la série 10/100…
Notre siècle serait-il celui de la « Mort
des histoires » ?
C’est comme ça que je n’ai pas
pu résister à « Agatha »…
Une écrivaine, Frédérique Deguelt,auteure entre autres de romans policiers, et une fois
de plus, une rencontre avec la Reine du mystère. Non une biographie simple,
mais la reconstruction imaginée d’un épisode de sa vie aussi mystérieux, et
sentimentalement douloureux que certaines de ses histoires inventées, sa
disparition en 1926, une affaire quasi policière.
Idée remarquable à mon sens, où
la fiction s’entrelace au réel en un jeu fascinant , du même ordre je pense que
la création romanesque en plus subtil ou intellectuel .
Mais qui est bien dans l’air de
notre temps, un temps, où me semble-t-il,
l’inventé ne peut se déprendre de la caution du vrai.
Qui est aussi un livre prenant,
au point de vue « focalisé », celui d’Agatha, centré sur son tourment
de trahison amoureuse…
Mais si l’émotion sentimentale
est longuement dite, et assez touchante, j’ai trouvé qu’il y manquait le
mystère, la surprise de l’invention d’ Agatha, le sentiment poignant du
tragique, que j’ai toujours ressenti dans presque tous ses romans sous le parti
pris apparent d’insignifiance .
…Sauf peut-être dans « Le meurtre de Roger Acroyd »,
ou « Les dix petits nègres », ces romans justement où la machinerie
du jeu entre le réel et l’imaginé fait toute l’essence du texte au détriment de
la chair de la vie.
J’ai pensé à « La
femme rompue » de Simone de Beauvoir, un livre lu il y a bien longtemps
mais dont j’ai gardé le souvenir d’une déception : celle dune écriture
remarquablement raffinée… mais sans âme !!!!
Et me voilà reprenant ma quête de simples Histoires , qui touchent et accrochent l’intérêt, de celles
qui intriguent, qui émeuvent , et « font
(presque) pleurer Margot ».Qui, sans éluder le malheur le conjure en
partie , en nous reconstruisant, par la description de la beauté du monde , par
le truchement de personnages positifs et généreux, un peu de goût de la vie, un
philtre de bonheur en somme…
Comme finalement a en a construit Agatha en reprenant l’écriture
de ses romans, pour nous lecteurs futurs , et aussi pour elle, pour conjurer
son propre malheur !
2 commentaires:
J’dore ce que tu écris là! J’y adhère, je m’y retrouve tout à fait... j’espere qu’un Jour prochain, tu rassembleras toutes tes chroniques, drôles, justes, émouvantes, si bien dites, dans un même volume, pour notre bonheur!... Je t’embrasse!
Laurence
Merci Laurence ...de la connivence !!!qui m’honore, vraie
littéraire que tu es !!!et de lire mes divagations ...merci chère lectrice et à bientôt !!!je t'embrasse bien amicalement...
Enregistrer un commentaire