mardi 27 mars 2018

Bérénice, Charlotte et Moi !


Britannicus me touche par sa « latinité », par sa mise en scène théâtrale, incarnée par Narcisse et Burrhus, de la lutte interne de l’homme  entre le bien et le mal …
Mais j’aime Phèdre inconditionnellement !
Je ne sais pourquoi …
A cause de Jean Louis Barrault et sa mise en scène ?
…parce qu’à cause de lui peut-être, cette histoire tragique  me  semble baignée de la réverbération impitoyable de la lumière de  Grèce sur les falaises crayeuses d’un pays soumis au sentiment de l’« étroitesse », sans échappatoire des îles et des péninsules où les dieux se jouent des humains…
…De Roland Barthes et ses commentaires ?
…De la  Grèce découverte à l’âge où je découvrais Racine ?  
 A cause de cette femme superbement tragique, qui non seulement subit la Passion, mais s’ingénie à l’aggraver par sa parole, avec l’aide de son ombre maléfique et nourricière, Oenone :
« Hippolyte ! Grands Dieux !
C’est TOI qui l’a nommé »
…Et son espoir de bonheur toujours trompé, dont toujours elle consent à être  abusée .
…Ou à cause de sa folie d’un amour jeune et « charmant »,   reflet  magique du regret déchirant de sa propre jeunesse perdue ?
Moi qui aime par dessus tout les héroïnes positives, celles qui pleurent, puis se mouchent, et repartent « ostinato » au combat du bonheur, comment puis je aimer Phèdre ?
A cause de la musique racinienne de  ses alexandrins ?
 Mais, si belle soit-elle, cette musique chante dans toutes les œuvres de Racine….

Charlotte
 Puis il y a eu  ma Charlotte, ma petite fille, une  ado incroyable, qui lisait Racine comme on lit des polars et des bluettes (et d’ailleurs concomitamment !!)

Elle me dit  un jour : « Moi,c’est Bérénice que j’aime!!! »
Cet échange, puis plus tard les heures passées aussi à travailler ensemble pour le bac de français  (pour lequel pourtant –paradoxe !- c’est Phèdre qui était au programme) m’ont donné à reconsidérer Bérénice…

Il y eut aussi, comme si souvent, un hasard objectif :
La fin d’un film, je ne sais plus lequel d’ailleurs, à la fin duquel je fus saisie d’émotion en entendant  les vers inégalables :
«  Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
 Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence, et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus … »

Nathalie Azoulay
Il  y eut surtout la sortie d’un livre couronné par le Prix Médicis, un livre que Charlotte tout de suite repéra….et que nous avons acheté : « Titus n’aimait pas Bérénice »


Nous l’avons acheté
Nous l’avons lu
Nous l’avons aimé
Et nous l’avons aimé
Parce que il sut nous parler, ni de Phèdre ni d’Hippolyte en fait
Mais de l’aventure de Racine, celle de la langue de Racine !!!
Et je l’ai écrit :
« Le Racine de Nathalie Azoulay est fait de la connaissance intime et érudite à la fois qu’elle a construite de lui. Son Racine exprime de manière remarquable le tourment de l’Ecriture , tourment obsessionnel  et exaltant de la traduction, de la traduction des œuvres latines à la traduction de la passion…Ce travail torturant et  plein de jouissance,  de reprises indéfinies du texte à écrire, son phrasé, sa musique , l’expression exacte d’une vérité qui se dérobe, qui coule entre les doigts comme de l’eau qui fuit….
On lit et on a peine à s’arracher à cette quête poétique et déchirante.
La connaissance biographique érudite de sa vie soutient mais ne brouille en rien la seule aventure,  la recherche de SA langue, la langue racinienne pure … »
Dénouement : (provisoire)
C’est ainsi qu’un soir, un soir froid de mars, sur l’invitation de ma Charlotte, aujourd’hui grande ,nous sommes allées toutes deux écouter « Bérénice » au TNT de Toulouse …
Je dis bien « écouter »
Car malgré celte merveille pour moi, la merveille d’une salle pleine de jeunes ado et adultes, la mise en scène sobre, dépouillée, assez minimaliste, sans fausse modernité… une utilisation poétique de l’espace scénique …
Nous avons été prises essentiellement par les très belles voix que permettait d’écouter la pureté de la mise en scène .
Ce sont ces voix que nous avons écoutées…comme un poème se dérouler…
Nous avons écouté avec bonheur dans ce climat lénifiant et délicieux qu’est souvent celui de l’écoute de la musique, la musique qu’on aime et que l’on attend…
Ce soir-là c’était la musique de Racine

Soirée magique, d’affection, de bonheur des mots, de mélodie de la langue si belle,  que la tragédie ne réussit pas à être déchirante, une sorte de « saudade » comme la créent certains musiciens que nous adorons ….
Merci de cette précieuse invitation …

Ps :Saudade est un mot portugais, du latin solitas, atis qui exprime une mélancolie empreinte de nostalgie, sans l'aspect maladif. Saudade est généralement considéré comme le mot portugais le plus difficile à traduire. Le dictionnaire français Larousse le définit comme « sentiment de délicieuse nostalgie, désir d'ailleurs» wikipédia



Aucun commentaire: