Britannicus
me touche par sa « latinité », par sa mise en scène théâtrale,
incarnée par Narcisse et Burrhus, de la lutte interne de l’homme entre le bien et le mal …
Mais j’aime
Phèdre inconditionnellement !
Je ne sais
pourquoi …
A cause de Jean Louis Barrault et sa mise en scène ?
…parce qu’à
cause de lui peut-être, cette histoire tragique me semble baignée de la réverbération impitoyable
de la lumière de Grèce sur les falaises
crayeuses d’un pays soumis au sentiment de l’« étroitesse », sans échappatoire
des îles et des péninsules où les dieux se jouent des humains…
…De Roland
Barthes et ses commentaires ?
…De la Grèce découverte à l’âge où je découvrais
Racine ?
A cause de cette femme
superbement tragique, qui non seulement subit la Passion, mais s’ingénie à l’aggraver
par sa parole, avec l’aide de son ombre maléfique et nourricière, Oenone :
« Hippolyte !
Grands Dieux !
C’est TOI
qui l’a nommé »
…Et son espoir de bonheur toujours
trompé, dont toujours elle consent à être
abusée .
…Ou à cause de sa folie d’un amour jeune et « charmant », reflet
magique du regret déchirant de sa propre jeunesse perdue ?
Moi qui aime par dessus tout les héroïnes
positives, celles qui pleurent, puis se mouchent, et repartent « ostinato »
au combat du bonheur, comment puis je aimer Phèdre ?
A cause de la musique racinienne de ses alexandrins ?
Mais,
si belle soit-elle, cette musique chante dans toutes les œuvres de Racine….
Charlotte
Puis il y a eu ma Charlotte, ma petite fille, une ado incroyable, qui lisait Racine comme on
lit des polars et des bluettes (et d’ailleurs concomitamment !!)
Elle me dit un jour : « Moi,c’est
Bérénice que j’aime!!! »
Cet échange,
puis plus tard les heures passées aussi à travailler ensemble pour le bac de
français (pour lequel pourtant
–paradoxe !- c’est Phèdre qui était au programme) m’ont donné à reconsidérer
Bérénice…
Il y eut aussi, comme si souvent, un hasard objectif :
La
fin d’un film, je ne sais plus lequel d’ailleurs, à la fin duquel je fus saisie d’émotion
en entendant les vers inégalables :
« Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur,
que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence, et que le jour
finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir
Titus … »
Nathalie
Azoulay
Il y eut surtout la sortie d’un livre couronné
par le Prix Médicis, un livre que Charlotte tout de suite repéra….et que nous
avons acheté : « Titus
n’aimait pas Bérénice »
Nous l’avons acheté
Nous l’avons lu
Nous l’avons aimé
Et nous l’avons aimé
Parce que il sut nous parler, ni de Phèdre
ni d’Hippolyte en fait
Mais de
l’aventure de Racine, celle
de la langue de Racine !!!
Et je l’ai écrit :
« Le
Racine de Nathalie Azoulay est fait de la connaissance intime et érudite à la
fois qu’elle a construite de lui. Son Racine exprime de manière remarquable le
tourment de l’Ecriture , tourment obsessionnel et exaltant de la
traduction, de la traduction des œuvres latines à la traduction de la passion…Ce
travail torturant et plein de jouissance, de reprises indéfinies du
texte à écrire, son phrasé, sa musique , l’expression exacte d’une vérité qui
se dérobe, qui coule entre les doigts comme de l’eau qui fuit….
On
lit et on a peine à s’arracher à cette quête poétique et déchirante.
La connaissance biographique érudite de sa vie
soutient mais ne brouille en rien la seule aventure, la recherche de SA
langue, la langue racinienne pure … »
Dénouement :
(provisoire)
C’est ainsi qu’un soir, un soir froid de
mars, sur l’invitation de ma Charlotte, aujourd’hui grande ,nous sommes allées
toutes deux écouter « Bérénice » au TNT de Toulouse …
Je dis bien « écouter »
Car malgré celte merveille pour moi, la
merveille d’une salle pleine de jeunes ado et adultes, la mise en scène sobre, dépouillée,
assez minimaliste, sans fausse modernité… une utilisation poétique de l’espace
scénique …
Nous avons été prises essentiellement par
les très belles voix que permettait d’écouter la pureté de la mise en scène .
Ce sont ces voix que nous avons écoutées…comme
un poème se dérouler…
Nous avons écouté avec bonheur dans ce
climat lénifiant et délicieux qu’est souvent celui de l’écoute de la musique,
la musique qu’on aime et que l’on attend…
Ce soir-là
c’était la musique de Racine
Soirée
magique, d’affection, de bonheur des mots, de mélodie de la langue si belle, que la tragédie ne réussit pas à être
déchirante, une sorte de « saudade » comme la créent certains
musiciens que nous adorons ….
Merci de cette précieuse invitation …
Ps :Saudade est un mot portugais, du latin solitas, atis
qui exprime une mélancolie empreinte de nostalgie, sans l'aspect maladif. Saudade est
généralement considéré comme le mot portugais le plus difficile à traduire.
Le dictionnaire français Larousse le définit comme « sentiment de délicieuse
nostalgie, désir d'ailleurs» wikipédia
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