mercredi 22 février 2017

L'Etranger et L'Arabe : "Mersault , contre-enquête"


Meursault , contre-enquête
Kamel Daoud,Babel (Actes Sud)









J’ai  aimé ce livre étrange et dérangeant …
Quoique je n’ai jamais aimé L’étranger, cet étranger qui justement a nom Meursault…
Ni  non plus parce que je ne l’ai pas aimé…
Je ne l’ai jamais aimé parce qu’incapable quand je l’ai lu d’accepter ce scandale de l’absurde, dont la Peste m’a guérie et soignée, parce que même son écriture me choquait, ce « je » absent et vide, alors que celle de La Peste m’enchantait de simplicité et de poésie.
Je aime ce récit de Kamel Daoud pour l’idée créative de nommer le sans nom tué par Meursault : « L’Arabe », mort, parce que le soleil écrasait la plage ! C’est une entreprise remarquable dont tous les lecteurs rêvent : achever une histoire inachevée ou mal terminée.
Tous les lecteurs je n’en suis pas sûre. Mais moi, oui !

Ce livre donne un nom à l’Arabe,  Moussa, il lui donne un frère investi de la tâche absurde autant que sa mort, de le venger , d’enquêter sur les circonstances , de retrouver son corps même englouti dans la non -existence, le rendre à son tombeau vide.
 Un frère dévoré parce cette tâche, possédé par la mère qui l’investit totalement dans cette mission.
Ce livre raconte la quête vaine et absurde des indices de ce meurtre pour redonner une existence à cet Arabe tué par Meursault parce qu’il faisait chaud, pour témoigner de ce meurtre sans corps …
ET au frère de Moussa, pour  qu’il conte cette vaine quête, il donne une langue.
Celle-là  même de son meurtrier, ou de celui qui est son auteur : son instigateur en fait, celui qui l‘inspire, qui l’investit de son pouvoir, son « auctor » l
Et c’est cette langue-là que j’aime qui m’a fait continuer, page après page, à  lire…

Car ce n’est pas en fait  la tension dramatique conduisant au dénouement, ce dénouement comme celui de L’étranger porte en lui une absurdité immense …
Le Roumi tué par le frère de Moussa n’est pas plus responsable que n’importe quel colon, n’est même pas responsable en tant que colon…
Et son meurtre exécuté après l’Indépendance, exécuté trop tard, à contretemps,  ne se produit pas quand il faut pour venger le meurtre de Meursault : il n’a pas de sens !
Ce qui m’a bouleversée, c’est l’extraordinaire beauté, sobre, précise, lumineuse, de la langue du conteur, la nôtre, par lui reconstruite et faite sienne….
C’est la beauté de cette langue qui  fait exister cette œuvre, qui donne à Moussa, «  L’Arabe », à son frère, et à son auteur, la force de l’évidence…


« Je veux dire que c’est une histoire qui remonte à plus d’un demi-siècle. Elle a eu lieu et on en a beaucoup parlé. Les gens en parlent encore, mais n’évoquent qu’un seul mort sans honte vois-tu, alors qu’il y en avait deux, de morts. Oui, deux. La raison de cette omission ? Le premier savait raconter, au point qu’il a réussi à faire oublier son crime , alors que le second était un pauvre illettré que Dieu a créé uniquement, semble-t-il, pour qu’il reçoive une balle et retourne à la poussière, un anonyme qui n’a même pas eu le temps d’avoir un prénom.[…]
C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai appris à parler cette langue et à l’écrire , pour parler à la place d’un mort, continuer un peu ses phrases. Le meurtrier est devenu célèbre et  son histoire est trop bien écrite pour que j’aie dans l’idée de l’imiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une les pierres des anciennes maisons des colons et en faire une maison à moi, une langue à moi. Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon bien vacant.

Kamel Daoud, Mersault, contre-enquête
Babel p 12



Merci à Kamel Daoud d’avoir écrit cette poignante histoire…
Merci d’avoir choisi pour bien vacant cette langue que j’aime TANT…


PS :
J’ai  vu l’interview de  Kamel Daoud à La grande librairie
Sobre, précis, sans concession, parler juste …un écrivain … !!!



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