J’aime Agatha Christie…Ce ne fut pas pour moi une lecture de
gamine : je l’ai lue quasi intégralement pendant mes études de lettres,
comme une sorte de contrepoids de badinerie et d’émotions, à une littérature en général plus résistante
à la lecture, souvent moins abordable et souriante. LA littérature !
A l’époque, la fréquentation d’Agatha
, n’était pas avouable, surtout dans les amphis de la fac de lettres…
Le polar déjà... !!!! Encore,
la série noire, bon, était reconnu « littérature » !
Mais ce monde de vieilles dames
et gentry anglaises n’était que littérature de gare et roman à l’eau de rose !
Puis le cinéma et Peter Ustinov conférèrent à ses machineries subtiles autant
qu’artificielles, et à son Hercule Poirot une sorte de label de noblesse.
Et depuis quelques années je
savoure, non sans quelque arrière -pensée
ironique, le succès dont jouit désormais
Agatha dans la culture de Télérama !
J’adore les adaptations qu’en a
faites Pascal Thomas au cinéma puis
récemment Eric Woreth à la télévision avec Antoine Duléry et Marius Colucci.
« Les petits
meurtres », un titre qui semble suggérer un parti pris de la série : des œuvres
moins connues.
J’en aime certaines
particulièrement pour leur atmosphère bizarre et triste, et plus
particulièrement encore les Cinq petits cochons
Cinq petits cochons …Dix petits
nègres …Un deux trois…
Les nursery ryhmes inspirent souvent les titres d’Agatha et
viennent souligner par leur récurrence les étapes de l’intrigue.
Donnent aussi une atmosphère un
peu étrange comme des échos lointains de voix argentines. Mais qu’on ne s’y
trompe pas ces échos n’apportent pas la fraîcheur optimiste et naïve de l’enfance mais peut-être le supplément de
cruauté de l’insouciance enfantine.
Les comptines populaires de nos régions aussi
sont souvent ainsi d’une cruauté brutale…
Ô « Bibi Lolo de Saint Malo
Qui tue sa femme à coups de couteau
Qui la console à coup de casserole
Qui la guérit à coup de fusil ! »
Pascal Thomas dans l’adaptation
remarquable de L’heure Zéro en a donné un effet ciné , même étrangeté, même douce
dérision , même absurdité avec le petit manège orchestre qui passe dans le film
et ponctue les séquences du récit…
La légèreté du monde fabriqué par
A.Christie frôle souvent une vision tragique de la vie.
Dans ses histoires, du moins dans
ma
lecture de ses histoires, les personnages, Hercule Poirot, « Papa
Hercule », et Miss Marple, sagace
Mamie tricoteuse ont souvent pour rôle de déjouer les machinations du destin et
de conjurer magiquement le malheur « qui se met en route »…
Mais Peter Ustinov ne joue pas,
il me semble, ce Poirot- là et Pascal Thomas
n’a pas choisi ces deux personnages pour ses films . Sa Tuppence et son Tommy,
vieux amoureux sont aussi des parents « indignes »,
pas vraiment rassurants pas tout à fait sympathiques. Quant à Antoine Duléry, alias
Larosière, et son Colucci d’inspecteur Lampion, ils ajoutent l’ambiguité de
leurs rapports et de leur rapport à la vie à la personnalité des enquêteurs , et
une dérision douce- amère au tragique
des choses.
Si bien que même s’ils déjouent
toujours les machinations, ils ne rassurent pas, n’apparaissent pas comme un
recours magique.
Cinq petits cochons…
Le refrain des cinq petits
cochons mis en scène par le jeu père- fillette, dans un jardin fleuri, accroît le caractère tragique de ce qui pourrait n’être qu’une bluette
fantaisiste : le lien de la fillette à son père et à sa mère est au cœur
du récit, le père est mort et la
fillette est une jeune femme qui vient découvrir que sa mère est coupable de son
meurtre ou du moins accusée…et même si en happy end Commissaire et Inspecteur prouvent
l’innocence de l’accusée, l’irrémédiable est accompli et irréversible !
Happy end relatif, dérisoire, en
regard de l’amour perdu, au moment même où il eût pu triompher…tragique bien
dans la tradition occidentale du Don Juan, amour fatal, subi, destructeur…
« Passions » au sens propre, de la création passionnée jusqu’à la
souffrance de l’œuvre, et de la conquête passionnée d’une femme très belle,
abandonnée lorsque séduite…
Cinq petits cochons, cinq petits cochons …
La petite fille reste face à ce
vide de la vie !
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