Voltaire l’avait bien dit :
« Cette facilité de communiquer ses pensées tend
évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des
États bien policés. »
Elles le savaient, les
grands-mères de nos grands-mères, et nos grands-mères qui s’ efforcèrent d'apprendre à lire,
que rien ne serait plus tout à fait comme avant…
Ils le savaient leurs hommes, certains les traitaient de bas bleus en leur déniant la qualité de femmes !
Ils le savaient mes grands élèves
de Béni Mellal, qui louaient à cinq un garage pour aller au lycée, parlaient
arabe et assez bien français, mais peinaient joyeusement sur la lecture de
Rabelais (faut dire !!!!). Echanger sur cette lecture était un vrai
plaisir qu’on plaisantait : « Nous irons tout de même trier beaucoup
d’oranges pour très peu de dirhams !!! Mais… mais…. » Ils le savaient,
que le ver était dans le fruit.
Elle ne le savait pas, Emma
Bovary, accro aux romans, qui la détournaient d’apprécier son lourdaud d’époux
et sa vie banale …et finirent par la dégoûter de vivre!
Et pourtant danger il y a bien... même si pour moi ce n’est pas bien sûr celui
de la dénonciation ironique de Voltaire : je trouve qu’il y a un vrai danger à
faire de la lecture un signe d’appartenance sociale , à décider,( et sur
quels critères?) qui est LECTEUR ou qui ne l’est pas…
Pas lecteur ce gamin qui aimait
les B.D et les dévoraient sous la réprobation familiale ?
Cet adulte
d’aujourd’hui qui lit les magazines les plus techniques de photos et en retire
des savoir faire subtils et efficaces ? Ou celui qui achète des livres
pour savoir construire des murs et doser des enduits…et y réussit ?
Grand danger à prétendre (avec petite
moue) « qu’il y a lecteur et lecteur », celui qui lit les Œuvres littéraires vs celui qui lit… ce qui aide sa vie ou l’enchante (n’importe quoi donc ?)…
"Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées, serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque...»
Jean -Paul Sartre, Les Mots
Il y a grand danger à faire de la
lecture un critère de classe …
Comme il y a grand danger à faire
de son apprentissage premier une sorte de rite initiatique angoissant et décisif dont le passage
détermine la vie à venir
On dit aux enfants qu’il FAUT et
que c’est dur …
On dit aux parents que c’est
l’année terrible le CP que si on rate, c’est pour la vie : « si tu
redoubles ton CP, tu n’iras pas à la fac », encore moins à L’ENA… !
On dit aux maîtres que c’est « très
très dur d’enseigner le savoir lire, qu’il ne faut rien louper de cet apprentissage ardu » :
pas une lettre, pas un son, bien dévider tous les assemblages, la combinatoire
qu’on appelle ça ! ba ca da fa ga ja ka bal cal dal fal cucucuc !!!!….fol
dol col , lof lod loc…
Al’envers et à l’endroit …
« Et ne pas deviner surtout
! Ne pas chercher à COMPRENDRE SANS LIRE !!! »
Doit-on soupçonner qu’il vaudrait
mieux lire (enfin lire ?) sans comprendre ?
Oui, je le soupçonne ….
Cette tension que l’on concentre
dans cet apprentissage installe chez certains enfants une image angoissante du
fait de lire dont ils ne se remettent que difficilement.
On se condamne alors à ce que les
enfants lecteurs soient presque exclusivement des enfants de parents lecteurs.
Ce qui n’est guère pour l’Ecole un titre de gloire…
Que les autres soient trop
souvent appelés « dyslexiques »…et ne doivent leur salut en lecture
qu’à la séance bihebdomadaire du spécialiste : l’Orthophoniste !!!
Certes loin de moi l’idée que les
orthophonistes ne sont pas utiles. Leurs interventions sont parfois salutaires
grâce à leurs qualités personnelles et les conditions qu’ils ont les moyens de
mettre en place…
Mais je pense qu’on se porterait mieux de donner du fait de lire une image moins rigidifiée, plus liée à ce qu’on désire savoir du monde et de la vie….de présenter la lecture comme un chemin que chacun peut trouver, avec notre aide bien sûr, pour accéder à sa guise à ce qui lui tient à cœur …
Je crois qu’il n’y a pas de non
lecteurs. Il y a des enfants puis des adultes qui n’ont pas trouvé de livres
qui concernent leur vie…
D’ailleurs de la même manière « j’ai
fait aussi parfois le rêve » que
les musiciens ne soient pas seulement des enfants de musiciens et que la musique
soit à des degrés divers l’affaire
d’un plus grand nombre d’amateurs…
afin que chacun puisse trouver les musiques qui concernent sa propre vie…
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