dimanche 21 octobre 2012

De l’horrible danger de la lecture…


Voltaire l’avait bien dit :
« Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. »

Elles le savaient, les grands-mères de nos grands-mères, et nos grands-mères qui s’ efforcèrent d'apprendre à lire, que rien ne serait plus tout à fait comme avant…
Ils le savaient leurs hommes,  certains les traitaient de bas bleus en  leur déniant la qualité de femmes !
Ils le savaient mes grands élèves de Béni Mellal, qui louaient à cinq un garage pour aller au lycée, parlaient arabe et assez bien français, mais peinaient joyeusement sur la lecture de Rabelais (faut dire !!!!). Echanger sur cette lecture était un vrai plaisir qu’on plaisantait : « Nous irons tout de même trier beaucoup d’oranges pour très peu de dirhams !!! Mais… mais…. » Ils le savaient, que le ver était dans le fruit.

Elle ne le savait pas, Emma Bovary, accro aux romans, qui la détournaient d’apprécier son lourdaud d’époux et sa vie banale …et finirent par la dégoûter de vivre!

Et pourtant  danger il y a  bien...  même si pour moi ce n’est pas bien sûr celui de la dénonciation ironique de Voltaire : je trouve qu’il y a un vrai danger à faire de la lecture un signe d’appartenance sociale , à décider,( et sur quels  critères?)  qui est LECTEUR ou qui ne l’est pas…

Pas lecteur ce gamin qui aimait les B.D et les dévoraient sous la réprobation familiale ?



 Cet adulte d’aujourd’hui qui lit les magazines les plus techniques de photos et en retire des savoir faire subtils et efficaces ? Ou celui qui achète des livres pour savoir construire des murs et doser des enduits…et y réussit ?
Grand danger à prétendre (avec petite moue) « qu’il y a lecteur et lecteur », celui qui lit les Œuvres littéraires vs celui qui lit… ce qui aide sa vie ou l’enchante (n’importe quoi donc ?)…


                             "Je ne savais pas encore lire que, déjà, je les révérais, ces pierres levées : droites ou penchées,                              serrées comme des briques sur les rayons de la bibliothèque...»
Jean -Paul Sartre, Les Mots





Il y a grand danger à faire de la lecture un critère de classe …




Comme il y a grand danger à faire de son apprentissage premier une sorte de rite initiatique  angoissant et décisif dont le passage détermine la vie à venir

On dit aux enfants qu’il FAUT et que c’est dur …
On dit aux parents que c’est l’année terrible le CP que si on rate, c’est pour la vie : « si tu redoubles ton CP, tu n’iras pas à la fac », encore moins à L’ENA… !
On dit aux maîtres que c’est « très très dur d’enseigner le savoir lire, qu’il ne faut rien  louper de cet apprentissage ardu » : pas une lettre, pas un son, bien dévider tous les assemblages, la combinatoire qu’on appelle ça ! ba ca da fa ga ja ka bal cal dal fal cucucuc !!!!….fol dol col , lof lod loc…
Al’envers  et à l’endroit …
« Et ne pas deviner surtout ! Ne pas chercher à COMPRENDRE SANS LIRE !!! »

Doit-on soupçonner qu’il vaudrait mieux lire (enfin lire ?) sans comprendre ?
Oui, je le soupçonne ….

Cette tension que l’on concentre dans cet apprentissage installe chez certains enfants une image angoissante du fait de lire dont ils ne se remettent que difficilement.
On se condamne alors à ce que les enfants lecteurs soient presque exclusivement des enfants de parents lecteurs. Ce qui n’est guère pour l’Ecole un titre de gloire…
Que les autres soient trop souvent appelés « dyslexiques »…et ne doivent leur salut en lecture qu’à la séance bihebdomadaire du spécialiste :  l’Orthophoniste !!!
Certes loin de moi l’idée que les orthophonistes ne sont pas utiles. Leurs interventions sont parfois salutaires grâce à leurs qualités personnelles et les conditions qu’ils ont les moyens de mettre en place…

Mais je pense qu’on se porterait mieux de donner du fait de lire une image moins rigidifiée, plus liée à ce qu’on désire  savoir du monde et de la vie….de présenter la lecture comme un chemin que chacun peut trouver, avec notre aide bien sûr, pour accéder à sa guise à ce qui lui tient à cœur …
Je crois qu’il n’y a pas de non lecteurs. Il y a des enfants puis des adultes qui n’ont pas trouvé de livres qui concernent leur vie…

D’ailleurs de la même manière « j’ai fait aussi parfois le rêve »  que les musiciens ne soient pas seulement  des enfants de musiciens et que la musique soit à des degrés divers l’affaire  d’un  plus grand nombre d’amateurs… afin que chacun puisse trouver les musiques qui concernent  sa propre vie…





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