Mon père était très fier d’avoir appris à conduire jeune. Son frère, plus riche, lui avait donné sa voiture quand il en avait acheté une neuve, quelques temps avant la guerre, et mon Payou s’enorgueillissait d’être le seul propriétaire d’automobile dans la petite ville d’ Aiguillon… après le « docteur » bien sûr !!!
Je crois qu’il aimait beaucoup conduire, et bien des années plus tard, quand l’âge aurait pu affecter son habileté au volant, il gardait malgré tout une grande sureté d’appréciation, acquise par des années de pratique. Seule péchait l’évaluation de la largeur de l’aile avant droite, qui en subit régulièrement quelques dommages …
En attendant sa première voiture leur permit de se livrer à leur loisir favori, « visiter »…et de faire quelques échappées belles pour fêter les congés payés…
Ces étés insouciants ne durèrent pas longtemps. Vint la guerre…et la progression de la zone occupée…
Menacé de réquisition de la voiture, il commença par la garder sur cales au garage, puis se résigna, le cœur gros à la vendre :
–« Bien sûr !, ma Françou, il y avait bien plus grave que la voiture, mais …je l’aimais bien, et c’était celle d’Albéric !!!!, ça m’a côuté…Enfin non (rires...) ça m’ a rapporté, une assez jolie somme ! Et j’ai dit à ta mère, on met les sous de côté et dès la guerre finie, on en rachète une !!!! »
Je le revois encore, riant de son rire d’historien relativisant le cours des choses, et jaugeant avec une douce ironie ses illusions de jeune homme d’avant guerre…
« Quand la guerre a été finie…c’est pas seulement de voiture qu’on avait besoin… »
-« Pour en racheter une d’ailleurs, c’est une malle de billets qu’il m’aurait fallu !!!! Le franc ne valait plus rien… »
-« Tu sais, ce que j’ai pu acheter avec la somme mise précieusement de côté ? Tu sais quoi? J’ai acheté une brouette !!! »
-« Eh bien ! ma foi, on a en a été bien content de cette brouette, quand ton grand père Lexou nous conduisait à la gare…à pied, on y mettait nos valises et plus tard ma chérie , quand tu as été là, c’est toi qu’on y perchait sur les valises. Oui oui oui c’était encore la même !!! »
Et de voiture, il se passa bien du temps avant qu’il n’en achète une autre. J’étais alors déjà une grande petite fille…
Il nous en fit la surprise . Il arriva dans la cour de la « cité Alice »…Fier de chez pas peu fier !
C’était une « Celta 4 », une occasion , achetée à un médecin (décidément ) . Belle, noire, lustrée, impeccable, avec des sièges de velours beiges et un petit vase entre les deux portières pour mettre des fleurs…en prime nous y trouvâmes, dans le vide-poche, des lunettes de soleil rondes, très classes, superbes
Belle elle était, imposante, et…lourde…
Nous pûmes en famille, recommencer à « visiter » un peu la France, et nous poussâmes même une année jusqu’à Madrid…
Le problème, c’étaient les côtes !!! Mon père « prenait son élan », s’il le pouvait, dans la descente précédente …je le revois, accompagnant l’accélération d’un geste du buste obstiné, mais la plupart du temps cet élan était impossible ou demeurait vain .
Alors il s’arrêtait et nous disait : « Descendez toutes !!! On se retrouve en haut !!! » Après redémarrage en côte, et accélération douloureuse en première, on se retrouvait finalement en haut en riant, ….
Jusque à la suivante… !!!
1 commentaire:
Trop émouvant ce témoignage... qui bien sûr me renvoie à mon propre papa... Pas pour la passion de l'automobile, lui n'était pas un grand fan, mais pour le balancement du buste qui accompagnait la voiture dans les (nombreuses) côtes de la Meuse!!!
Tu écris toujours aussi joliment, Françoise!
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