mercredi 28 avril 2010

Yves Saint Laurent : les rêves et la vie

A l’occasion d’une rétrospective au Petit Palais de l’œuvre d’Yves Saint Laurent, une excellente émission lui fut consacrée sur La 5.
On y voit le jeune garçon, tout entier dans son rêve, jouer dès l’enfance à créer des modèles, emplir des carnets d’écolier de longues silhouettes de femmes, vêtues de ses créations.
Une page de ses cahiers me séduit particulièrement , celle où il note les commandes imaginaires de personnalités prestigieuses, leur devis, le délai de livraison…
Ainsi jouait-il vers 10-11 ans…
Ainsi jouons nous « à la styliste » avec ma petite Charlotte : je suis son amie, elle crée des modèles pour une grande maison de couture, dessine à ma demande sur un carnet des vêtements , « à porter à telle occasion », « dans telle teinte de préférence », « plus longue », « plus courte », « choisissons l’imprimé, le chapeau, les gants »…gommons redessinons, corrigeons, transformons….estimons les coûts , le délai de réalisation…
J’aime ce jeu qui me rend à ma propre enfance…
Ainsi jouai-je à l’âge de 11ans…
J’avais commencé par créer des vêtements pour ma poupée « Françoise ». Le père noël me l’avait apportée avec une petite machine à coudre pour mon dixième noël.
C’était une poupée de Modes et Travaux, les abonnés recevaient en encart des patrons pour ses vêtements… Je coupais, assemblais, cousais, et…modifiais,… car en cuisine comme ailleurs, je n’ai jamais pu suivre exactement une recette donnée. C’est ce que mes filles appellent « la façon Mamou »…
Plus grande, je me mis moi aussi à dessiner mes créations, à remplir des cahiers entiers de jeunes femmes longilignes, aux longs cheveux et aux yeux en amande …
C’était l’époque où ma mère nous fabriquait robes, chemisiers et manteaux…elle taillait, assemblait, ma grand mère l’aidait à coudre…
Plus tard ce fut une couturière « Coco »( !!!...abréviation de son nom de famille !!!), qui venait le mercredi après midi faire de la couture : elle cousait bien, abattait de la besogne, mais selon ma mère « elle n’avait pas d’idée !!! »
Souvent alors le mercredi après midi l’escalier retentissaient d’appels : « Chanel !!! Viens voir !! »
J’accourrais, pas peu fière de ma réputation, pour donner mon avis sur l’arrondi d’une ourlet, creuser une pince, remonter une échancrure, rajuster un aplomb…j’adorais faire ça…
ET vint Yves st Laurent : j’avais douze ans lorsqu’on appela à la succession de Dior ce tout jeune homme mince, aux yeux bruns. Il n’était pas « mignon » suivant mes canons d’alors (Robert Taylor et Alain Delon)…Mais il me fit pourtant rêver autant que le prince Charmant, de son talent, de son destin fabuleux, de ses créations dignes de Chanel qui incarnait jusqu’alors mon idéal …

Bien évidemment, dans ma famille mon talent ne fut jamais qu’un jeu. Comment mes parents auraient-ils pu concevoir de me lancer dans un métier aussi aléatoire, et malgré les grandes féministes qui le pratiquèrent, aussi peu féministe, marqué qu’il était par les mulièbres travaux de toutes les lingères, couturières à façon, brodeuses, petites mains de la destinée féminine…
Je passais donc l’école Normale pour devenir professeur. J’y croisais encore mon fantasme, en la personne d’une petite prof de couture. Car en ce laïque couvent, on apprenait le chant et la couture. Mais cette jeunette prof , à peine plus âgée que nous, plutôt que de nous enseigner le surjet et la pièce à coins carrés, nous apprit à faire des patrons à notre « forme », ce qui nous enchanta et me permit pendant quelques années d’inventer et me fabriquer robes et ensembles qui complétaient agréablement une garde robe assez spartiate par ailleurs…
J’avoue, que si je suis ravie par le talent de Charlotte à dessiner et à inventer à son tour modèles et tenues, pas plus que mes parents, je n’envisage d’inciter ses parents à le cultiver …Je suis plus encline , je le sens bien, à insister sur son goût de la musique et sur la justesse et la beauté de sa voix et son implication résolue dans sa chorale…

Alors ressurgit pour moi une question que je me suis souvent posée , en littérature en particulier et en art en général.
Qu’est-ce qui fait la différence entre un certain talent et un goût prononcé voire parfois obstiné, et un destin d’artiste ?
Il y a bien sûr le degré du talent, il y a la « culture familiale », il y a le rôle des parents, il y a les hasards de la vie …
Bien sûr, je suis tentée de dire parfois : « si mes parents…si…si…et si ...»
Mais je pense qu’il y faut aussi une concentration exclusive de sa vie et de ses forces sur son projet unique, le renoncement à un certain équilibre de vie qui se joue dans la variété et la diversité des projets, un anti-dilettantisme en somme…
Parfois quand je contemple la mer des heures, ou qu’après une longue marche en raquettes on découvre l’étagement des vallées, et les arbres givrés, quand prenant ma voiture j’ai l’impression de partir librement à l’aventure…quand je joue avec les petites à la styliste, à l’école , quand je cours aux vagues et à l’écume, je pense à Galliano et je me dis : connaît-il ces petits plaisirs là ?
Souffre-t-il de ne pas les connaître ?
Selon Epicure (traduction libre par Michel) : « Tant de choses qu’il ignore et ne (?)souffre pas d’ignorer ... »
Et j’ajouterai : « Tant de choses que je souffrirais(?) d’ignorer… »…….


Une pensée pour A-Ch, mon amie, qui a une voix de rossignol, qu’elle cultive avec passion et tenacité, et qui me dit, un jour que je lui demandais pourquoi elle n’avait pas tenté de faire carrière de soprano :
« C’était ça, ou les enfants , ou le métier simple que je fais bien et que j’aime aussi… »




2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah vraiment, j'eusse aimé pouvoir faire preuve d'autant de dextérité... Hélas je me souviens de l'exaspération d'une enseignante : "Mais vous tenez votre aiguille comme un pieu !" (Là je ne suis pas sûre de l'orthographe, mais vous me pardonnerez de ne pas vérifier...). Je me souviens aussi des modèles proposés dans chaque numéro de "Modes et Travaux" pour la poupée Marie-Françoise, et le baigneur (ne s'appelait-il pas Jean-Michel ?)
Edith

Unknown a dit…

J'ai eu aussi quelques déboires, de dextérité: étant gauchère,je surjetais et surfilais à l'envers, ce que m'avait suggéré ma mère, et qui à notre avis ne nuisait en rien au fini du travail, mais ce n'était pas l'avis de certaines enseignantes, pour lesquelles le sens c'est le sens!!! mais pas le bon sens!!!je crois...Je te remercie bien amicalement de repasser par chez moi...pour un petit échange bien agréable...
Françoise