mardi 13 avril 2010

Histoire d'enfance

Il se trouve par hasard que j'ai assisté ou participé ces derniers jours à de petites chamailleries fraternelles et délicieuses.
Du coup je me suis décidée à raconter le texte que voici, que je ruminais depuis longtemps:
Le premier au fond du jardin !!!Nous habitions à ce moment là une maison de quatre pièces, avec une cuisine en appentis, un puits , un vaste cellier, un jardin devant avec des buis et deux palmiers, genre début de » siècle . Elle s’appelait « Cité Alice » en raison peut-être du fait qu’un deuxième appartement, plus modeste, totalement indépendant, s’adossait à son mur arrière…
Cette maison m’enchantait.
Ma mère aussi d’ailleurs, car en obtenir la location fut une aubaine : c’était encore l’après guerre et trouver une location, en dépit du fait qu’on avait des enfants, « qui dégradent toujours, Madame », et malgré le fait que «bien sûr, bien sûr...» on était fonctionnaire!!! , relevait du parcours d’obstacles, de la négociation obstinée ; bref, nous pûmes louer « Cité Alice » à des propriétaires charmants, qui ne mirent comme condition que de garder la jouissance de leur potager.


Celui-ci était un vaste terrain très sablonneux tout en longueur, partagé par une longue allée rectiligne qui conduisait à un portail vert, toujours fermé d’ailleurs ..
A condition de ne pas nuire aux platebandes, l’accès en était autorisé…
La grande allée était donc notre terrain de jeu favori.
La petite troupe d’enfants de la « cité » et du quartier était répartie sur deux tranches d’âge : les grands, nés avant la guerre, et les petits dont j’étais, fruits de la fin de la guerre…
En ces temps de peu de jouets, dès qu’il faisait beau, les jeux de la rue, trappe-trappe, ballon prisonnier, vélos, occupaient toutes nos fins d’après midi, et se jouaient tantôt entre petits, tantôt grands et petits réunis…
L’un des plus excitants, et des plus irritants, était : « Le premier au fond du jardin !!! » . Mal défini, vous comprendrez pourquoi, il consistait à démarrer au signal à l’entrée de la grande allée pour courir de toutes ses forces jusqu’au portail vert, sur lequel on venait littéralement s’écraser en riant ou râlant !!!
Naturellement lieu de la toute puissance des grands, il consacrait inéluctablement leur victoire, le seul enjeu étant d' être le premier des grands ou le moins dernier des petits !!!
Or, comme dans la fable, il advint une fois que les tortues, s’évertuant, démarrant en trombe, donnant tout de leur souffle et de leurs gambettes, parvinrent à battre les lièvres, et à atteindre en premier le portail.
Et là! se retournant, radieux d’une victoire si chèrement gagnée, les premiers, dont j’étais, entendirent cette chose inouïe, scandaleuse, ironiquement, et ( à notre insu) éminemment biblique :
« Aujourd’hui, changement de la règle !!!…Le premier au fond du jardin, ce sera le dernier !!! »
Bien entendu cette injustice, cette insolence arbitraire, si elle nous indigna longtemps, ne nous empêcha nullement de continuer à nous accrocher aux baskets des grands, et à tenter encore et encore d’être « les premiers au fond du jardin » !!!

J’ai souvent pensé à ce souvenir lorsque je fréquentais les écoles, leurs enfants, les « maîtres », les réunions des parents….
J’y pense aussi en écoutant vivre mes petites filles .
J’y pense comme au symbole de la toute puissance des grands, puis des adultes, sur les enfants, et parfois l’étendue de ce pouvoir m’angoisse vaguement, tandis qu’il me semble comprendre les colères, les rages, les révoltes impuissantes des petits, se heurtant à l’évidence que le pouvoir de juger, de décider ne leur appartient pas…



Souvent bien sûr, il n’appartient pas non plus aux grands, mais les enfants ne le savent pas….

Publié dans "Histoires de quand j'allais à l'école"




> / script>
 Free Hit Counter

2 commentaires:

elisabeth a dit…

Je lis cette histoire en me rappelant que dans les cours de récréation, heureusement, nous n'étions que des filles et nous n'avions pas à subir la violence de certains garçons. Si bien qu'un garçon hémophile venait quelquefois en classe avec nous, et se promenait seul à la récréation. C'est dire si les filles avaient la réputation d'être douces. Mais d'un autre côté, nous connaissions mal les gars quand il a fallu les fréquenter plus tard. C'est toujours à notre époque la course au plus fort. Bonne après midi.

françou a dit…

Oui, c'était le temps des "lycées de jeunes filles" et des tabliers d'uniformes roses ou bleus.
Tu as raison, c'est toujours le premier au fond du jardin...Parfois on a cru que cela pourrait changer...
Bonne soirée.
Françoise