Un titre attirant , « Vers la beauté » et l’image de
Jeanne Hébuterne…
Ce qu’il y faut de
signification, ce qu’il y faut de mystère.
Ce qu’il y faut aussi pour
nous attirer.
Dans une période où le monde alentour s’agite et s’assombrit
des malheurs du monde (1) et des angoisses sociales, dans un âge de la vie, le mien, le nôtre, où
s’il y a de grands bonheurs privés les nuages de l’incertitude se pressent, la beauté , actuellement pour moi celle de
certaine musique que nous aimons et que
nous poursuivons sans relâche, nous sauve de la tristesse absolue…( Glycines et lilas aussi mais peut-être
seulement parce que une Colette ou autre poète nous en a désigné
l’image..)
J’ai donc acheté « Vers
la beauté » ...
Une première partie surprenante et
prenante : j’ai adoré ce prof de « Beaux Arts » qui
laisse tout pour se faire « gardien de musée »
(Personnages étranges que ces
gardiens qui m’ont toujours intriguée voire fascinée, auxquels je dis bonjour
avec naïveté et obstination, poiur leur manifester qu’ils ne sont pas pour moi
des meubles se fondant dans le décor .
Nous en avons parfois croisé de surprenants qui nous
ont fait la présentation des lieux comme hôtes hospitaliers ou même une fois
expliqué comme la perspective d’une
œuvre différait suivant les endroits où l’on se plaçait pour la regarder et de
nous faire essayer différents points de vue…
Bref ce premier épisode de l’ histoire , cet Antoine qui parlait le
soir seul à seul à Jeanne Hébuterne m’a séduite d’entrée ...
Au fil
des pages, rencontres de nombre d’autres facteurs de séduction :
-Le musée d’Orsay… « Une ancienne gare…Entre les Manet et les Monet,
on peut se laisser aller à imaginer les trains arrivant au milieu des tableaux »
-Des connivences fortes, par
exemple, des jugements que nous aurions
pu aussi Michel et moi partager, « les
propos calamiteux » des visiteurs du Musées : « Certains ne disaient pas « j’ai visité
le Musée d’Orsay »mais « j’ai fait Orsay », un verbe qui trahit
une sorte de nécessité sociale ;pratiquement une liste de courses. Ces
touristes n’hésitaient pas à employer la même expression pour les pays « j’ai
fait le Japon l’an dernier »
Comme si un pays, une œuvre
d’art une fois « faits » n’étaient plus à revoir, épuisés, à juste
portés au compte d’un CV de la culture…de l’ordre de « Faut avoir
vu… »
-Des manières d’écrire qui
m’apparaissent comme une fantaisie
formelle , petit jeu esthétique , comme une manière de signature : par exemple l’usage comme en documentation d’un »
pseudo apparat critique », notes de
bas de page, censées éclairer un fait , de préciser une impression,
gratuitement , presque poétiquement par exemple
sur « Antoine buvait une bière avec un parfait inconnu…même le
goût de la bière lui paraissait étrange »note : on aurait dit
comme une autre boisson qui se faisait passer pour de la bière ; une sorte
d’imposture liquide… » (p23)
-Une « déconstruction » cubiste de la chronologie : un récit
chronologiquement construit avec une apparente rigueur, comme
une œuvre musicale, en « parties » bien marquées,( mais sans
titre), qui ont chacune leur
coloration : mais cette chronologie brouille les pistes et il faut la reconstituer « avant « ?
« après » ? la conduite du récit me semble suivre un tracé esthétique,
avec ce qu’il faut d’insolite ou de désordonné dans la chronologie pour qu’on
ne sache pas à quel moment se situer , qui nous égare comme la conscience
du temps, qui nous oblige à refaire
plusieurs fois le chemin pour décrypter le passage du temps, et en même temps
excite à sa découverte .
-Des personnages multiples au
gré des rencontres d’Antoine, le fil sur qui se focalise l’intérêt. Sans que pour autant celui-ci soit le seul
point de vue auquel on accède.
Cette multiplicité participe à ce foisonnement non linéaire de la Vie, qui
n’est pas linéaire. Il y a d’ailleurs beaucoup de femmes dans l’histoire de cet
Antoine, personnages affectivement émouvants, dans un « système de
rôles » différents :
Esquisses efficaces, Mathilde
la DRH du musée d’Orsay, mais pas que… Louise ,l’infidèle, Eléonore
l’affectueuse sœur, Isabelle la mère, Sabine la maîtresse d’Antoine et la femme
du violeur, elles sont pour Antoine le labyrinthe des amours , des désirs, des séductions.
Enfin lumineuse, et fragile, et dévastée par le viol, Camille, (souvenir de la Camille de « On ne badine
pas avec l’Amour ?)
Les hommes sont plus
transparents, des rôles sociaux, hormis le malsain et répugnant violeur.
-La personnalité pour nous attachante d’ Antoine : c’est un
enseignant selon mon cœur ; son goût passionné pour ce qu’il enseigne, l’intérêt
qu’il porte à ses élèves, sa sensibilité à leurs intérêts, leur comportement,
la fascination qu’il exerce sur eux et
le souci qu’il en a…
Et c’est l’Art qu’il « enseigne » !
MAIS…
Malgré la séduction immédiate de la situation
de départ, malgré toutes les connivences
ressenties en déroulant le texte, je n’échappe pas ensuite à une sorte
de déception.
Je l’avoue , moi qui écrivais récemment
que je déplorais «La Mort des histoires »
aujourd’hui (au sens Hégélien), au profit de la toute puissance de la Réalité ,
tout à coup je me dis « Vers la beauté » n‘est finalement qu’ une
histoire (de plus) ,une histoire récurrente
d’ amour trahi : bien raconté avec une certaine sobriété, conduit avec une
vraie tension dramatique, dynamique, qui retient le lecteur, la souffrance de
la défection, l’impossibilité à se résigner …
Même c’est une histoire dans L’air du temps ! par l’évènement
central choisi : le viol, son effet dévastateur, la fragilité de sa victime,
son dénouement irrémédiable, tragique.
Et puis NON ! En fait en redéroulant le récit encore et encore :
Non! le thème fondamental, le
ressort dramatique, ce ne sont ni les ruptures amoureuses, ni les évocations érotiques,
ni la violence sexuelle, c’est bien la
quête de la beauté :
Bien sûr, l’originalité du roman,
c’est la Beauté ! sa recherche est
le ressort du récit.
Antoine et Camille, Antoine et Mathilde …. Orsay, Modigliani,
Jeanne Hébuterne, elle provoque leurs rencontres, leur partages intimes autant
que forts de l’Emotion esthétique, elle leur apparait comme la ressource
suprême à leurs souffrances : Orsay , Modigliani et Mathilde consolent
Antoine de l’abandon de Louise , le dessin pour Camille, puis les cours d’Antoine
qui s’y associent, semblent avoir, pour un temps, raison de
son Malheur . Mais la Tragédie, qui
se détend toujours au 4ème acte , se réenclenche de plus belle au
cinquième ! Camille, « on ne badine pas avec l’Amour !!! »
C’est encore l’Art , les tableaux
de Camille, son autoportrait, leur exposition, qui offrent à Antoine une
possibilité de survie , comme aller travailler à Orsay l’avait sauvé du
désespoir et le nom de Mathilde en avait été l’oracle !
Ps : A propos de connivences,
j’ai lu une interview de D. Foenkinos concernant ses goûts de lecture, je n’en
partage aucun !!! à preuve pour moi que la communication avec un auteur ne passe que par ses livres…Conviction
de toute ma vie
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