J’aime tellement certains textes que je n’ai jamais aimé les entendre lire à voix haute, sauf parfois par les enfants ou mes élèves… quand du moins c’était leur désir…
Cela peut paraître paradoxal mais je pense que cela brouille l’écoute intérieure et intime que j’en ai…le rythme que suit mon voyage sur leurs lignes, le phrasé que j’en entends..
Mais nous aimons Daniel Mille, nous attendons sa musique…Ses lives sont rares du côté de chez nous, et ses disques plus rares encore…
Alors ses spectacles avec Jean-Louis Trintignant sont une tentation en filigrane dans notre curiosité, une question qui nous intrigue, jusque là sans réponse …
Je pense que lui-même aime les mots, aime à ouvrir des évocations poétiques en les entremêlant à sa musique en des titres qui résonnent en nous en connotations…
Heureusement, d’Apollinaire, les lettres à Lou me laissent indifférente tant ma passion se concentre sur Alcools…
Mais voilà que Jean Louis Trintignant et lui ont choisi, trois des faiseurs de textes qui me fascinent particulièrement pour des raisons différentes, Prévert, Desnos, et Boris Vian…et que j’ai familièrement fréquentés. Familièrement, ni exhaustivement, ni savamment, mais selon mes divagations en culture souvent buissonnière…
Mais voilà que Arte Web vient de faire l’enregistrement de leur spectacle et que le lien est apparu sur ma page Facebook …
Et voilà que Daniel Mille en propose la partage !!!
Et partager pour moi c’est toujours écouter !
Et écouter, c’est risquer la séduction…
Et séduction il y a eu:
Quel plaisir de se laisser glisser dans les nappes « soyeuses » de son accordéon et la douce tristesse de ses romances. J’ai du mal à nommer ses morceaux que nous reconnaissons immédiatement. C’est l’évidence d’une esthétique et d’un style. Un swing particulier, un rythme, une tonalité , un son merveilleusement mélodique…
Un plaisir de retrouver sa posture attentive à l’extrême, debout ou appuyé sur le haut tabouret de scène, l’air en retrait mais dirigeant toutes choses derrière les plis de son accordéon déployé.
Plaisir d’un quintet nouveau à découvrir, un violoncelle, Grégoire Korniluk et une contrebasse Pascal Berne, le piano d’Arfo Origlio , la batterie d’Andy Barron, et le bugle – je l’aime !- de Julien Alour.
Mais quel que soit le plaisir d’entendre et de voir jouer Daniel Mille, et quoique cette fois ce soit Jean Louis Trintignant l’invité, le maître du jeu c’est lui, c’est cet homme amaigri, un peu raide sur sa chaise dont seul le regard est mobile, qui va d’un musicien à l’autre, avec une rare intensité …à la fois présent avec évidence et ailleurs, dans un monde intime, à l’instar de sa voix sonore, prenante , parfaitement modulée….et comme retenue, assourdie, un peu éteinte, belle …
Mais quel que soit le plaisir d’entendre et de voir jouer Daniel Mille, et quoique cette fois ce soit Jean Louis Trintignant l’invité, le maître du jeu c’est lui, c’est cet homme amaigri, un peu raide sur sa chaise dont seul le regard est mobile, qui va d’un musicien à l’autre, avec une rare intensité …à la fois présent avec évidence et ailleurs, dans un monde intime, à l’instar de sa voix sonore, prenante , parfaitement modulée….et comme retenue, assourdie, un peu éteinte, belle …
Son premier texte, de Jules Renard, qui ouvre le spectacle, je le ressens comme un texte ambigu « Quand l’acteur et le musicien sont mauvais les applaudissements du public les rend pires » qui me semble instaurer une certaine distance avec le public, distance qui renforce pour moi l’impression qu’il est dans son monde, un peu extérieur au nôtre …
Et puis les textes …
Des textes qui souvent sont de ceux que j’aime, pas forcément des plus connus .
Pas forcément des plus drôles
Beaucoup célèbrent l’absurdité de l’ordre du monde, drôles quand Prévert raconte « le chat et l’oiseau », tragiques quand ils évoquent avec Vian la faille infranchissable entre les classes sociales, immigrés , étrangers, Sénégalais , ou les rapports familiaux sordides de la misère et de la débilité …ou avec Desnos, la Guerre qui détruit l’ami et l’amant … …
Je n’aime plus la rue Saint Martin
Depuis qu’André Platard l’a quittée...
Ce sentiment de l’absurde est l’impression dominante que je retire de la belle lecture de ces poèmes ainsi choisis.
Car il s’agit d’un choix, le choix du tragique…
Même quand on attendrait le sourire de la fantaisie ou de la dérision tendre…
Ni Le Képi de Jacques Prévert qui m’a toujours paru une irrévérence, un pied de nez à l’ordre social, et que j’aime ainsi , ne réussit pas à faire sourire. Ni La Cène !
Ni les délicieuses légèretés des Chantefleurs et des Chantefables , conçues dans les sombres soirées de l’état de veille, « belles fleurs et paisibles animaux dédiés avec amour aux enfants , donc à L’Avenir » ne réussissent pas à éclairer la belle voix tragique de Jean-Louis Trintignant qui se mêle admirablement bien à la pulsion tragique d’Astor Piazzolla, si remarquablement interprétée, et à la profonde mélancolie si délicieusement tissée par les instruments du quintet de Daniel Mille…
Et comme à l’accoutumée le font les musiciens que nous aimons, voilà qu’ils nous entraînent sur des sentiers familiers parfois un peu oubliés :
En quête des mélodies familières de Daniel Mille , tourmentée du désir de savoir les nommer puisqu’il ne les nomme pas, j’écoute depuis deux jours tout, mais tout, ce que nous possédons de disques de lui …
Et je feuillète avec obstination mes Chantefleurs, mes Paroles et mes Histoires, mes Boris Vian et Robert Desnos de poche, pour y retrouver les poèmes jadis rencontrés et bien d’autres encore…
Le dernier poème ...(de Robert DESNOS)
J’ai rêvé tellement fort de toi
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres
D’être cent fois plus ombre que l’ombre
D’être l’ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée
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