23 septembre 2010
Quand on ouvre les volets, le temps est couvert mais très doux :
-Il ne pleuvra pas, je crois. Heureusement sinon…il risque de ne pas y avoir grand monde…
On est plutôt en avance, garé assez loin ; sur le reste du chemin pourtant, il restait des places…
-C’est pas bon signe !!!
Le parcours n’est pas encore neutralisé, ça renforce le pronostic :
- Y a pas grand monde ; c’est le petit parcours !!!
On remonte à contresens vers le lieu de rassemblement. Sur le trottoir peu à peu des gens s’acheminent dont on sait instinctivement « qu’ils y vont ». On surprend des conversations : «la grève, c’est cher ; vaudrait mieux faire un samedi, avec un mot d’ordre global, sur la politique d’ensemble… »
Et puis par degrés, par les rues adjacentes au parcours des gens arrivent, encore et encore
-Finalement y aura du monde !
Et quand ça démarre, on attend sur le bord que « les nôtres » arrivent et on voit défiler encore et encore des travailleurs, connus, pas connus, jeunes moins jeunes plus du tout jeunes, des parents avec des poussettes et des enfants , des gens avec des cannes , une dame aveugle et son guide , des hommes, encore des hommes…. et ils sont déterminés, graves, ou sérieux…et quand on se glisse parmi eux pour marcher du même pas une sorte d'émotion nous saisit de se retrouver ensemble.
-triste, cette manif est triste !
-triste, cette manif est triste !
-sans illusion ???
-non, les gens semblent déterminés, finalement on est plus nombreux que le 9…
-oui le 9,tout était sombre, le ciel, la pluie, les vêtements, même les parapluies serrés comme pour un toit solidaire !
- sans slogans, sans cris, sans chanson…?
- non, je sais…. Pas triste, mais sans excitation, sans l’enthousiasme, une sorte de colère rentrée…
Et nous pensons à d’autres manifs, la folle journée de 95 à Pau où il y eut tant de monde, tant de beau temps, tant de marche jusqu à la gare où nous pique-niquâmes.
Avions-nous plus d’illusions, il ne me semble pas, plus de colère certes, ou du moins pas la même…
Je me rappelle la grande manif de Toulouse,quelques jours plus tôt, Nadia et Seb était avec nous.
C’était un long défilé familial et joyeux,avec des poussettes, des ballons, des banderoles chamarrées, des slogans éclatants, un défilé très très long, nonchalant, tous les boulevards, et puis le grand détour par le cours d’Alsace vers le Capitole….
et soudain alors que nous entrions sur la place, brusque changement d’atmosphère , poubelles en feu et tout à coup, alors que nous étions rentrés sur la place et comme enfermés, charge soudaine, brutale, et rapide des CRS, grenades lacrymogènes…
le bruit de leur course sur le pavage de la place résonne encore dans mes oreilles,
et nous courons pour nous enfuir par la rue Rémusat, nous abriter dans un grand magasin , Sébastien me protège la tête de son blouson, je cherche ma fille , il me dit « cours, cours, elle sait courir elle aussi…. »
Puis tout s’apaise et nous aussi …
Et comme un vif souvenir longtemps oublié ressurgit non pas Mai 68, mais mes premières manifestations en 1962, à Bordeaux…
De Mai 68, j’ai plus de souvenirs de soleil et d’enthousiasme, d’A.G. et de discussions enflammées, de la place de la Victoire le 13 Mai couverte de monde et de lumière, que de charge policières …sans doute nous tenions nous raisonnablement à l’arrière…
Non la peur profonde qui ressurgit alors du fond de ma mémoire, c’était celle des manif contre la guerre l’Algérie
Les années talons aiguilles et mince redingote, le froid, pas même 18 ans. Pas réellement engagée. Pas réellement de conscience politique Une camarade de prépa avec qui nous discutions avec passion, m’avait convaincue que l’Algérie c’était aussi notre affaire, et qu’on ne pouvait pas se taire…
Et en cachette de ma grand-mère chez qui j’habitais, je cachais dans mon grand sac à main mes chaussures plates et nous partions défiler.
Quand nous nous engagions dans l’étroite rue Sainte Catherine comme dans un couloir piège, au fur et à mesure que nous en descendions la pente de petit pavés inégaux, je sentais une peur panique m’envahir, l’angoisse que nous soyons enfermés dans une voie sans issue par les forces de l’ordre barrant la rue aux extrémités entre deux rues .
Au moindre signal nous nous échappions et nous dispersions par les rues adjacentes et jamais je crois nous ne réussîmes à faire le parcours jusqu’au bout.
Je n’eus pas le courage de renouveler très souvent l’expérience…
Rien n’arriva jamais…à nous !!!
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