vendredi 4 juin 2010

Comment Wang Fô fut sauvé….

Le vieux peintre Wang Fô et son disciple Ling vagabondent dans la Royaume des Han, en quête de paysages à peindre. Peindre les paysages, c’est peu dire, car les paysages des esquisses de Wang Fô sont plus vrais que ceux du monde réel….

Ce sublime mensonge de son art, c’est la faute qui vaut à Wang Fô d’être condamné à mort par l’Empereur qui ne lui pardonne pas que le monde réel n’égale en rien celui de ses tableaux. Ce sublime mensonge, c’est aussi lui qui le sauve en lui permettant de s’enfuir sur l’Océan jailli sous son pinceau, dans le frêle canot qu’il a dessiné …

« Et le peintre Wang Fô et son disciple Ling disparurent à jamais sur cette mer de jade bleu que Wang Fô venait d’inventer. »

Cette belle histoire est une Nouvelle Orientale que Marguerite Yourcenar à écrite deux fois : pour les adultes, (L’IMAGINAIRE/ GALLIMARD) et pour les enfants, dans une très belle petite édition : ENFANTIMAGES/GALLIMARD, qui malheureusement n’existe plus aujourd’hui et donnait à collaborer dans une œuvre à un écrivain et un auteur dessinateur.

Un « album » en sorte , type d’écrit dont je raffole parce que le sens s’y construit entre texte et image, dans un format différent de la B.D. J’ai peine à lire la BD, je regrette que ce format d’ « album » soit peu présent dans la littérature adulte …car il convient à ma lecture texte-image, où le sens se construit en va et vient, mais où le texte , et l’image, gardent une surface familière, où je trouve spontanément mon chemin accoutumé de lectrice…


C’est par le texte « pour enfants » que j’ai découvert Wang Fô.


J’y ai aimé cette conception de l’art qui embellit la vie et permet de s’en évader…et les lavis de jade bleu de Georges Lemoine, sur lesquels ses esquisses délicates se défient de la perspective.

Bien sûr la question d’un élève de CM2, n’était pas sans me donner à penser sur le pouvoir de l’art :
-Mais Wang Fô, quand même, il est mort ? ou il s’est sauvé vraiment ?

Et la colère de l’Empereur , si dévitalisé lui-même, avec ses mains ridées et « vertes comme une plante sous marine », ne me paraissait pas si injuste, à l’encontre du vieux Wang Fô « dont les peintures l’ont dégoûté de ce qu’il possède, et donné envie de ce qu il ne posséderait pas, le seul empire sur lequel il vaille la peine de régner, celui où pénètre le vieux Wang par le chemin des Mille Courbes et des Mille Couleurs…. »

Mais ce beau texte ambigu avait le pouvoir d’enchanter les élèves ou de les agacer en levant l’irritation de leurs questions et engendrant des discussions passionnantes…

Par le chemin de la curiosité je suis allée lire le texte de la première « Nouvelles Orientales »

J’y découvris la figure de Ling, disciple fidèle et effacé dans la version «jeunesse ». Ce Ling , nous dit la version originale, n’a pas toujours été serviteur, mais le riche et timide héritier d’un changeur d’or et d’une fille de marchand de jade….

L’époux passionné d’une jeune épouse « frêle comme un roseau, enfantine comme le lait, douce comme la salive , salée comme les larmes… »

Wang Fô , lorsqu’il le rencontre dans une taverne, lui fait « cadeau d’une âme et d’une perception neuves»…

Le vieux peintre peint la jeune femme sous le prunier du jardin parmi les nuages du couchant…
Et Ling préfère alors à la jeune femme les portraits que Wang FÖ fait d’elle …
Elle dépérit comme la fleur au vent chaud de l’été …

Et « Un matin on la trouva pendue aux branches du prunier rose … »



Tragique et inquiétante comme le sont les contes, cette histoire nous reparle du rapport de la vie et de l’art, de l’angoisse de Chopin , de l’insupportable Rameau , d’Emma Bovary consumée du désir de la vie rêvée…et de bien d’autres …



Je préfère pour ma part continuer de penser que « Wang Fô fut sauvé » et que la musique adoucit la vie, et que la lyre d’Orphée peut ramener Eurydice à la vie….

Qu’il y a des œuvres qui donnent énergie, vitalité, et couleurs à la vie réelle….et que c’est celles là que j’élis entre toutes et que je voudrais ne pas manquer de passer à ceux que j’aime …




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2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je connais très bien la version pour enfants de "Comment Wang Fô fut sauvé...", mais (honte sur moi...), j'ignorais qu'il y en eût une pour adultes. Une fois de plus, tu m'ouvres des horizons, merci Françou !
Edith

Anonyme a dit…

Bonsoir Edith , et merci de ta venue...
Pour Wang fo, c'est la version "enfant", si l'on peut dire qui est pour moi la plus belle...
amitiés
Françou