mardi 16 février 2010

Lourdes « en étrange pays dans mon pays même »

Comme l’a raconté Michel, ICI,
Lourdes à deux pas de chez nous, et pourtant si lointaine, l’a toujours fasciné.
En ce début février, le soleil nous a fait croire au retour de la lumière et aux prémices du printemps ; l’envie nous a pris de voir de plus près le soleil sur la montagne, dont on sentait la neige de chez nous à l’air vif et piquant, et bizarrement c’est vers Lourdes que nous sommes allés !!!
Bizarrement, car ce village, dans sa vallée lovée dans un site sublime, s’est totalement coupé de cette beauté, en dressant de fantastiques barres d’immeubles qui masquent comme un décor de théâtre tout le décor naturel.
L’hiver, ces barres projettent une immense ombre sur la vallée déjà encaissée….et ajoute pour moi au malaise des rues aux boutiques fermées et chargées d’échafaudages.
Curieusement, j’étais justement en train de relire comme je le fais de temps en temps Au bonheur des dames (le Zola que je préfère), et je tombais en arrêt devant un immeuble qui me parut être Le Grand Bon Marché (qui servit peut-être ! de modèle à Zola ,) qu’il décrit faisant l’angle de deux puis trois rues principales , dressé dans sa démesure , encombrant le quartier de ses travaux d’agrandissement , occupant tout le pâté de maisons et voué à la vente massive et bon marché…



Du coup, au retour, je suis allée acheter un exemplaire de Lourdes et je vous livre mes découvertes de lecture :
Le point de vue de Pierre, prêtre, en passe de perdre sa foi :
«
Sur le chemin de la grotte, il fut blessé par l’acharnement des vendeuses de cierges et de bouquets, dont les bandes errantes assaillaient les passants, avec une rudesse de conquête…toutes, un paquet de cierges sous le bras, brandissant celui qu’elles offraient, poussaient leur marchandises jusque dans les mains des promeneurs… Le négoce , l’impudent négoce raccrochait ainsi les pèlerins jusqu’aux abords de la Grotte. Non seulement il s’installait triomphant dans toutes les boutiques, serrées les unes contre les autres, transformant chaque rue en un bazar ; mais il courait le pavé, barrait le chemin, promenait sur des voitures à bras des chapelets, des médailles, des statuettes, des images pieuses. De tous côtés on achetait presque autant qu’on mangeait pour rapporter un souvenir de cette kermesse sainte… »

Ce que pense le coiffeur, « républicain et libre penseur"
:
« On sentait en lui a rancune lentement amassée, aujourd’hui débordante, de la vieille ville contre la ville neuve, cette ville poussée si vite, de l’autre côté du château, cette riche cité aux maisons grandes comme des palais, où allait toute la vie, tout le luxe, tout l’argent , de sorte qu’elle s’enrichissait sans cesse, tandis que l’aînée , l’antique ville pauvre des montagnes , achevait d’agoniser…
Et quel résultat lorsqu’on songeait à la candide Bernadette agenouillée devant la grotte primitive, à toute la naïve foi, toute la pureté fervente des premiers ouvriers de l’œuvre… »
En relisant ces pages qu’un siècle sépare de nous, j’étais frappée d’y trouver les mots pour dire mon malaise …
Plus encore, mon émotion, ma profonde perplexité, en rencontrant contre toute attente au sein de cet environnement mercantile, voué au dieu du commerce, des manifestations saisissantes de foi, une femme en suppliante, profondément abîmée dans sa prière, agenouillée à même le sol froid de la promenade, au pied de la statue de Notre Dame.
Ou ces gens, simplement assis, les mains croisées sur leur genoux, au plein vent devant la grotte, et priant, récitant des litanies …
Et pour cette émotion, les mots de Zola encore, sublimant poétiquement la procession du soir :
« Cela commença par quelques cierges, çà et là, qui brillèrent : on aurait dit des étincelles brusques , trouant l’obscurité, au hasard ;le nombre s’en accrut rapidement ; des îlots d’étoiles se formèrent ; tandis que sur d’autres points, des traînées , des voies lactées coulaient, au milieu des constellations . C’étaient les trente mille cierges qui s’allumaient un à un, de proche en proche…, roulant d’un bout à l’autre de la promenade les petites flammes jaunes d’un brasier immense.
« Oh ! Pierre, que c’est beau ! murmura Marie. On dirait la résurrection des humbles, des petites âmes pauvres qui se réveillent et qui brillent »
C’était bien cela, des flammes grêles, à peine des points lumineux, d’une modestie de menu peuple, et dont le grand nombre faisait l’éclat, un resplendissement de soleil
… »
Je trouve que les mots de Zola parviennent encore un siècle plus tard à exprimer ce que je ressens de la réalité de cette étrange ville . En même temps ils la parent d'une poésie qui la déréalise, et me laisse rêveuse ...et perplexe !

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