mardi 9 juin 2009

Une culture de « jardin de curé »

Quand il parle de notre jardin, Michel dit souvent « le jardin de curé de Françou", ce qui me plaît tout à fait. Je ne sais pas ce qu’on entend généralement par ce terme[1], et je me demande ce que l’expression signifie pour moi.
Comme il est d’usage de définir par opposition, je dirais d’abord que c’est le contraire d’un jardin de paysagiste, construit sur plans comme un ensemble préétabli…
Mon jardin s’est construit petit à petit, « pour l’enclore », pour faire de l’ombre à la terrasse ou la border d’un haie odorante, pour planter l’olivier que m’offrirent mes élèves, pour essayer d’avoir une glycine, parce que j’en rêvais, et des iris violets, parce que ce sont les vrais, et du lilas , parce que « la rose et le lilas », et des lauriers roses comme dans le jardin Albert 1er à Nice quand j’étais enfant…et des bégonias tubéreux parce qu’ils aiment l’ombre et que le roi de notre jardin c’est l’étrange prunier sauvage au tronc énorme fait de plusieurs troncs entrelacés, qui abrite la maison et la couvre de fleurs, de fruits , et d’ombre. Toute fleur qui pousse dans notre jardin doit pactiser avec ce géant protecteur.
C’est ensuite un jardin de patience et d’attente. Attente que la glycine « vienne » enfin, et que les iris et la pivoine finissent par « donner ». Attente que fleurissent les violettes , venues seules dans l’herbe, le prunier, les crocus qui se multiplient , les primevères qui viennent et reviennent, les deux lilas, les hortensias . Le rhododendron, les azalées, le chèvrefeuille et le jasmin. C’est une lutte odorante à qui couvrira le parfum de l‘autre : l’odeur de la violette est recouverte par celles des fleurs du prunier, le chèvrefeuille et le jasmin se disputent les soirées chaudes de juin. Les jacinthes, les pivoines, les roses, les abélias de la haie s’expriment par fugitives bouffées.
C’est un jardin d’essais : où se plaira l’ellébore dite « rose de noël ». ? Car les fleurs voyez-vous, pour pousser, il faut qu’elles se plaisent. Qui est-ce qui voudra pousser au pied du mur où il ne pleut que rarement ? Ce petit feuillage léger, attendons, on ne va pas l’arracher, essayons, qui est-il, on ne l’a pas planté, c’est du bleuet….
Pour le curé je suppose que son jardin chante le credo de la création divine, affirme une pleine confiance en ses dons , le bleuet ou l’ortie , Dieu dispose, mais pour moi c’est l’attente païenne, confiante, et encline à s’émerveiller, de ce que produira l’élan vital végétal .
Ce n’est pas non plus tout à fait un jardin d’autodidactes encore moins un jardin naturel : enfouie en nous par l’enfance, il y a une culture implicite : j’ai grandi dans des jardins, avec un grand père fils de paysan, un père qui « jardinait », une mère qui aimait les fleurs et lisait Colette…
On arrache peu, parce que voyez vous, c’est vivant ! On repousse un peu les oignons défleuris du bout du plantoir pour ajouter un pied muguet ou d’impatiens ou autres radicelles…
Et de ce désordre, naissent des ensembles attendus et inattendus, éphémères et récurrents, souvent aussi beaux que fugitifs.

Et je me dis que ma culture est aussi de « jardin de curé » :
Ma culture littéraire pas entièrement : l’école , le lycée, la fac, mes apprentissages puis mes expériences professionnels y ont construit des jardins à la française, et à l’antique, où purent se greffer solidement des foisonnements romantiques, des folies XVIIIe, des surréalismes et des cubismes .Hors des allées tracées je fis de délicieuses rencontres divagatrices, Simone, la lingère, notre voisine, qui lisait Nous Deux et Intimité, je m’asseyais à ses pieds sur son petit banquet de couturière et lisais, lisais ; Gabrielle, la petite cousine de mon père, sourde et chevrière de son état, qui possédait des piles énormes de Lisez-moi bleu, je les dévorais tard le soir dans la chambrette qui sentait la bique ; .Dumas que mon père adorait ; Pearl Buck et les sœurs Brontë et Jane Eyre qui vivaient familièrement avec ma mère . Des piles d’Historia étayaient les rangées de romans de la bibliothèque pourpre. Je vécus des délices de grippes et de bronchites où mon père pour apaiser l’agitation de la fièvre me lisait des heures durant Les lettres de mon moulin, Tartarin, et mon préféré entre tous Madame Thérèse. Il y eut aussi plus tard, à l'heure ingrate des vaisselles, Zazie dans le métro que me feuilletonnait Michel, pour adoucir l'ennui de la tâche fastidieuse. Toutes ces rencontres ont peuplé mon esprit et mon cœur d’un entrelacs culturel de jardin de curé !
Mais c’est en musique que j’ai vraiment une culture de jardin de curé :ni l’école, ni mes parents ne m’ont transmis de solides fondations à la le Nôtre . Mon père chantait faux et vouait une admiration amoureuse à ma mère qui chantait bien l’opérette, puis l’opéra et le temps des cerises, et les chansons de Rina Ketty.
Ma soeur alternait au piano les valses de Chopin et la complainte de la Butte. Et tentait de parer à leurs difficultés par un ressassement obstiné : on riait « montera, montera pas les escaliers de la butte » !!! Elle écoutait en boucle les symphonies de Mozart sur son Teppaz. On me mit au piano : élève médiocre et peu appliquée, j’y pris le goût toutefois des longues improvisations solitaires qui ne charmaient que moi, des exercices de Czerny qui me paraissaient admirables, mais aussi des inventions de Bach et des Sauvages de Rameau .Je n’ai jamais cessé de les aimer…
Le jazz vint avec Michel, puis le rock, puis la Pop.
Un temps, je hantai avec ma fille le grand théâtre de Bordeaux et le Capitole, « accros » D’Offenbach, de Rossini, de Verdi, de Madame Butterfly…
Et enfin comme deux vieux fans Michel et moi rencontrâmes l’accordéon, instrument de toutes les rencontres culturelles, tous les métissages musicaux.
Ma culture musicale c’est vraiment un jardin de curé !

Je pense souvent qu’ « entre les murs » de l’école, puisque finalement c’est le sens que l’on donne communément à l’expression jardin de curé
[2] ce serait bien que les enseignants sèment aussi, en supplément des solides « classiques » du programme dont je ne ferais certes pas fi, les graines de culture diverse dont ils disposent eux-mêmes, (selon ma phrase favorite lorsque j’étais formateur), « pour essayer !!! ». Parce que dans ce désordre, chacun reconnaîtra son bien, en fera peut–être son bonheur, et l’harmonie de son jardin secret …


[1] Robert : « se dit d’un jardin enclos de murs »
[2] « Se dit d’un jardin clos de mur » Robert

5 commentaires:

Maître Chronique a dit…

Un texte intelligent, sensible, il mérite d'être lu et relu. Je suis presque jaloux de n'en avoir pas eu l'idée en premier !!!

Anonyme a dit…

Juste un petit passage pour vérifier que la dépose de commentaires est plus facile !
;-)) Maître Chronique

sister for ever a dit…

Juste pour voir si ça marche maintenant

sister for ever a dit…

Impeccable, ça marche!... sauf l'heure qui est fausse à... 9heures près!
Je répète donc ici le plaisir que j'ai eu Françoise à écrire une article si joliment écrit.
Et qui pour moi révèle un vrai talent d'écrivain.
Je reviendrai lire d'autres textes en tous cas.

Anonyme a dit…

merci à sister for ever, vivement qu'elle revienne!!!françoise