« La forme d’une ville change plus vite hélas que le fond de mon cœur…. »
Devant les quais superbement dégagés et aménagés de la Garonne, je pensais à ces vers de Baudelaire :
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie
Et je pensais aussi que, si en filigrane de ma vie, Bordeaux avait toujours été là, mes sentiments pour cette ville avaient bien changé selon les saisons de ma vie et la couleur de ses pierres.
Les terres de « borde » de la gare, les années 50…
Quand j’étais enfant, mes grands parents habitaient un appartement sur une place, derrière la gare, dans les terres de borde les bien nommées. C’était un quartier de familles de cheminots et autres ouvriers de la « Compagnie », si bien qu’entre cheminots ou basques ou landais ma grand- mère y trouvait une sorte de communauté.
Des rues pavées sans trottoir, où l’herbe trouvait à pousser, des « échoppes » de pierre basses à un seul étage ; sur le mur de la rampe descendant du pont de la gare, des cordes étaient fixées pour étendre le linge ; ma grand mère redoutait toujours qu’on y vole ses draps, mais n’aurait renoncé pour rien au monde à bénéficier de sa longueur d’étendage et se contentait de surveiller sa lessive du balcon..
L’été, les femmes du quartier sortaient leurs chaises devant les portes et causaient, et nous les enfants jouions dans la rue, entre pavés disjoints et rigoles qu’avaient formés les eaux de lessive.
On entendait les hauts parleurs de la gare et on suivait les arrivées et les départs des trains.
J’aimais ce grand appartement clair, dont une seule chambre , obscure, donnait sur la cuisine et nous était réservée ; nous aimions son papier peint à grandes fleurs d’hortensias bleu foncé, l’imposte qui donnait chez la voisine, les ronflements sonores d’icelle dès huit heures du soir, les conversations des adultes qui une fois qu’ils nous avaient couchés, s’asseyaient autour de la table de la cuisine et échangeaient sans méfiance confidences ou propos pour adultes, dont nous surprenions des bribes dont nous nous régalions.
J’aimais aller sur le grand pont voir les trains passer, arriver et partir, cela sentait la suie et le fer. Ma grand- mère prétendait que respirer cette odeur agissait contre les rhumes !
J’aimais aller de l’autre côté de la gare voir la cousine Anyie qui travaillait « au rhum Moko ». Un grand chai, au sol de terre battue où l’eau de rinçage des barriques creusait des rigoles. On nous laissait jouer en attendant qu’Anyie ait fini de rincer les bouteilles. Cela sentait la cave de calcaire, et le rhum. Et on nous donnait des jetons multicolores marqués « Moko » pour jouer au nain jaune…
« Les fossés »
Mais mon plus grand plaisir était la promenade du dimanche matin avec mon père, qui nous « faisait visiter bordeaux ». J’ai un peu oublié la leçon, mais je n‘oublierai jamais je crois, nos flâneries dans le vieux Bordeaux ,entre Saint Michel et Sainte croix, les petites rues insalubres, aux maisons de pierre noircies, les pavés inégaux, les bas côtés herbeux et un peu sales . Mon père disait « toute cette pierre, quel dommage de la voir s’encrasser ainsi !!! » et il ajoutait c’est comme les quais, de mon temps on s’y promenait avec ta mère, on voyait le fleuve, le trafic ; les marins, les marchandises, mais là ils nous ont construit ces grilles hideuses, on n’y voit plus rien, d’ailleurs y aura bientôt plus rien à voir, plus aucun trafic maritime. Encore que les paquebots d’Afrique du Nord y arrivaient encore, je suis allée une fois avec ma sœur chercher une de ses copines arrivant du Maroc …
Devant les quais superbement dégagés et aménagés de la Garonne, je pensais à ces vers de Baudelaire :
Paris change ! mais rien dans ma mélancolie
N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie
Et je pensais aussi que, si en filigrane de ma vie, Bordeaux avait toujours été là, mes sentiments pour cette ville avaient bien changé selon les saisons de ma vie et la couleur de ses pierres.
Les terres de « borde » de la gare, les années 50…
Quand j’étais enfant, mes grands parents habitaient un appartement sur une place, derrière la gare, dans les terres de borde les bien nommées. C’était un quartier de familles de cheminots et autres ouvriers de la « Compagnie », si bien qu’entre cheminots ou basques ou landais ma grand- mère y trouvait une sorte de communauté.
Des rues pavées sans trottoir, où l’herbe trouvait à pousser, des « échoppes » de pierre basses à un seul étage ; sur le mur de la rampe descendant du pont de la gare, des cordes étaient fixées pour étendre le linge ; ma grand mère redoutait toujours qu’on y vole ses draps, mais n’aurait renoncé pour rien au monde à bénéficier de sa longueur d’étendage et se contentait de surveiller sa lessive du balcon..
L’été, les femmes du quartier sortaient leurs chaises devant les portes et causaient, et nous les enfants jouions dans la rue, entre pavés disjoints et rigoles qu’avaient formés les eaux de lessive.
On entendait les hauts parleurs de la gare et on suivait les arrivées et les départs des trains.
J’aimais ce grand appartement clair, dont une seule chambre , obscure, donnait sur la cuisine et nous était réservée ; nous aimions son papier peint à grandes fleurs d’hortensias bleu foncé, l’imposte qui donnait chez la voisine, les ronflements sonores d’icelle dès huit heures du soir, les conversations des adultes qui une fois qu’ils nous avaient couchés, s’asseyaient autour de la table de la cuisine et échangeaient sans méfiance confidences ou propos pour adultes, dont nous surprenions des bribes dont nous nous régalions.
J’aimais aller sur le grand pont voir les trains passer, arriver et partir, cela sentait la suie et le fer. Ma grand- mère prétendait que respirer cette odeur agissait contre les rhumes !
J’aimais aller de l’autre côté de la gare voir la cousine Anyie qui travaillait « au rhum Moko ». Un grand chai, au sol de terre battue où l’eau de rinçage des barriques creusait des rigoles. On nous laissait jouer en attendant qu’Anyie ait fini de rincer les bouteilles. Cela sentait la cave de calcaire, et le rhum. Et on nous donnait des jetons multicolores marqués « Moko » pour jouer au nain jaune…
« Les fossés »
Mais mon plus grand plaisir était la promenade du dimanche matin avec mon père, qui nous « faisait visiter bordeaux ». J’ai un peu oublié la leçon, mais je n‘oublierai jamais je crois, nos flâneries dans le vieux Bordeaux ,entre Saint Michel et Sainte croix, les petites rues insalubres, aux maisons de pierre noircies, les pavés inégaux, les bas côtés herbeux et un peu sales . Mon père disait « toute cette pierre, quel dommage de la voir s’encrasser ainsi !!! » et il ajoutait c’est comme les quais, de mon temps on s’y promenait avec ta mère, on voyait le fleuve, le trafic ; les marins, les marchandises, mais là ils nous ont construit ces grilles hideuses, on n’y voit plus rien, d’ailleurs y aura bientôt plus rien à voir, plus aucun trafic maritime. Encore que les paquebots d’Afrique du Nord y arrivaient encore, je suis allée une fois avec ma sœur chercher une de ses copines arrivant du Maroc …
Mais le clou de la promenade, qui nous consolait de tout, c’était les camelots « sur les fossés » C’est ainsi qu’il dénommait le cours Victor Hugo , construit entre les « portes » sur l’emplacement des anciens fossés de la ville médiévale. Le plus gosse des deux n’était pas celui qu’on pense et nous avons ramené de ces marchands de vrais trésors : un appareil à découper les frites, un bol à ne jamais louper la mayonnaise, et un superbe stylo gris gravé à mon nom, que j’ai conservé toute mon année de 6ème, quoiqu’à vrai dire il ne marchât pas très bien !
Pierres aujourd’hui grattées, habitat embourgeoisé, splendeur du quai dégagé…ah mon Payou si tu les voyais !!!
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