Elle était née il y a un peu plus
de cent ans, et sans doute était-elle
représentative des femmes de son époque, qui tâchèrent de se construire
sans « Querelle »entre Anciens et Modernes, entre credo de la modernité et respect des valeurs
transmises par leurs parents…
Moderne, on peut dire je pense qu’elle
l’était…
Elle l’était par un féminisme bien à elle. Peut-être en partie
hérité de sa mère basque, - habituée à un certaine forme de matriarcat, et en
outre à se débrouiller de ses nombreux frères et sœurs, à travailler tôt et beaucoup
…Ma grand mère Julie avait aussi par nécessité appris à vivre indépendante,
pendant le long service militaire de mon grand père, que la guerre en outre
prolongea de cinq bonnes années…Cheminot « roulant », il continua
d’être assez souvent absent…et permit d’autre part à sa femme par les « coupons »
offerts par la Compagnie
du Midi de voyager de son côté, ce qu’elle ne se priva pas de faire…
De langue maternelle basque, elle apprit à parler
français mais demeura analphabète pour l’écrire, même si elle se débrouilla à
apprendre à en lire assez pour lire « Nous deux » et « Confidences »
et des livres sur des femmes politiques qui la fascinaient. Savoir, être
instruite était son rêve…
Elle poussa ma mère à faire des études,
le bac d’abord au lycée de jeunes filles (super bourgeois) de Bordeaux, puis
une licence d’histoire à la Faculté
des lettres …
De cette ouverture culturelle , d’une époque où le travail était
abondant pour qui aimait à risquer des choses nouvelles… où il
représentait pour les femmes une clé pour l’autonomie, ma mère tira la conviction
forte qu’il fallait qu’une femme soit éduquée à l’égal des hommes pour vivre
mieux sa vie sociale et personnelle, et surtout qu’elle ait un travail pour demeurer
indépendante…
C’est ainsi qu’elle nous éleva
dans le culte de la réussite scolaire, et au-delà, du savoir qui rend la vie
meilleure (!!!) et les femmes plus libres.
Moderne ma mère l’était, par sa foi profonde
dans le progrès humain, que même les
souffrances de la guerre ne put altérer, que ce progrès se décline, en progression sociale, en progrès
de la condition féminine, ou progrès technique qui permettrait le progrès social…Pour elle comme pour mon
père l’instruction en était le facteur…La prise de conscience que peut-être ce progrès
n’existait pas fut un des chagrins des dernières années de sa vie …
Moderne était son désir de jouer son rôle social d’éducatrice. Elle
travaillait beaucoup et ne comptait pas sa peine, aimait à aider qui en avait
besoin pour des cours particuliers gratuits évidemment, par des prêts de livres,
par des conseils. Elle tâcha de son mieux , comme la jeune institutrice
suppléante qu’elle fut d’abord, de faire vivre ses écoles dans la compagne
girondine, de convaincre parents et élèves de la nécessité d’y être assidus, Puis
plus tard , devenue professeur de français en section commerciale,d’œuvrer à la
réussite sociale de ses élèves .Nous en rencontrons encore quelques-unes ,
émues quand elle nous reconnaissent, et plus encore quand elles nous
reconnaissent parce qu’on lui ressemble…
Elle enragea - je le sus plus tard par ses récits- de ne
pas avoir toujours eu le droit de vote …et considéra comme un événement
marquant de sa vie de l’acquérir.
Plus tard, elle salua l’invention
des machines qui libèrent des servitudes matérielles .Plus que toutes, le lave- vaisselle et le
lave- linge. Mais elle se laissait séduire aussi par de moins utilitaires,
sources de plaisirs plus intellectuels : la machine à écrire qu’elle fut
la première de la famille à acquérir et utiliser, et qu’elle maniait fort bien,
et l’auto, moyen d’autonomie et d’évasion. Elle apprit à
conduire, s’y acharna, mais n’y réussit
jamais très bien. Pour preuve de mon amour filial, je fus son passager fidèle !
Sa maladresse ne l’empêchait pas de réaliser son rêve, aller au cinéma et
surtout aux concerts des JMF, qui
n’intéressaient pas mon père, et de m’y emmener, ce dont nous étions très
fières toutes deux…Le soir pour qu’elle rentre la voiture, j’habillais les
poteaux du portail avec de vieilles couvertures, pour ne pas risquer de rayer
la carrosserie…
Et nous rigolions de bon cœur et
de ses craintes et de l’expédient ainsi bricolé …
.
Mais en même temps elle avait le
goût des travaux traditionnellement « mulièbres »
,les travaux de la vie quotidienne, la
cuisine , la couture , et le soin du linge, et les fleurs. Elle restait attachée à une
conception traditionnelle de la femme, elle ne concevait pas une vie de femme sans
maternité ( Les enfants disait-elle, c’est l’affaire des femmes )
trouvait socialement satisfaisant que
son mari soit plus intelligent qu’elle (sic) et se faisait un peu moralisante
parfois pour défendre des valeurs
traditionnelles assez strictes, la morale du travail , la pudeur, le mariage,
la fidélité dans le couple…elle n’admettait pas la sexualité hors mariage !
Si bien que par amour maternel elle dut déroger à ses principes
, autoriser pour Michel et moi un
mariage à 20 ans , de peur qu’on se passe d’autorisation pour vivre ensemble, et accepter pour ma sœur un compagnon étranger,
exilé et marié dans son pays….qu’elle aima pour l’amour qu’il portait à ma
sœur, son courage d’opposant exilé et
son intelligence.
En fait, au-delà du respect des valeurs traditionnelles
il y av ait
en elle quelque chose de très romantique,
voire de romanesque. Quoiqu’elle nous préconise d’être « raisonnable »,
c’était son grand mot, qui nous agaçait souvent, elle était passionnée . Son idéal
de bonheur était l’amour, la rencontre
de l’âme sœur, le couple pour toute une vie…
Ainsi la petite étudiante en
histoire s’éprit d’un gentil étudiant,
l’épousa en tout bien tout honneur, « tomba » enceinte tout aussitôt,
et dut arrêter ses études ….pour prendre un emploi d’institutrice suppléante et
faire vivre son étudiant de mari qu’elle estimait plus apte qu’elle à
poursuivre sa licence …Ils réalisèrent je crois leur idéal de bonheur.
De même, s’ils écoutaient Léo Ferré et Brassens, elle
écoutait aussi, et chantait, Rina Ketty ;
si elle lisait La Garçonne
et Colette, elle aima toujours les histoires sentimentales. Je lui dois d’avoir
lu La Mousson
et Pearl Buck, d’aimer encore Jane Eyre
et Rébecca…. Et d’avoir vu avec elle Ivanhoé et Quo Vadis… !
J’ai sans doute aussi profité de
son culte pour les classiques de notre patrimonine, Molière, La Fontaine , Boileau, Alphonse
Daudet, dont elle savait réciter des tirades entières … On se moquait un peu,mais
on se les rappelle toujours…
Telle elle était , avec ses jolis
contrastes, assumant ses contradictions avec une conviction passionnée et
rieuse, sans doute semblable à bien des femmes de sa génération.
Mais elle était aussi unique, c’était
notre Mérotte !
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