Enrique Ponce
Une arène comble , sous un ciel incertain partagé entre soleil
lumineux et cumulus boursouflés …
Incertain et partagé le public l’est aussi…Enrique Ponce est l’idole
de cette arène et donc beaucoup d’aficionados avertis expriment mezzo voce
quelques réserves, les taureaux choisis nobles, allègres , et plus braves que
dangereux, la marque indélébile de la grave blessure qu’il a subie et après laquelle
il ne fut plus jamais le même…
Pour nous, pour ma Nad , pour
moi, de réticences point ! Nous l’avons tant aimé, tant vibré à ses faenas
que nous lui gardons une foi absolue,
celle de pouvoir « changer le plomb en or », comme l’avait
écrit un chroniqueur taurin , à l’issue de cette échappée magique et automnale
où nous fîmes toutes les deux –souvenir si délicieux que presque douloureux- le
voyage dans la journée pour aller le voir toréer dans les sublimes arènes de
Nîmes…
Mais cette attente est mêlée
d’une grande anxiété... Les aléas qui
composent une corrida, les blessures,
l’âge qui vient , le souvenir de quelques « rencontres »
ternes, insinuent le doute , la crainte que toute cette ferveur , cette attente
de foule exaltée ne soit déçues, se
tournent en déception des inconditionnels et dérision des puristes…
C’est donc dans une certaine tension que je vis
la première faena d’Enrique Ponce, puis le début de la seconde , admirant l’élégance dépouillée et la maîtrise
remarquable de ses gestes, et sa
connaissance de l’animal, d’une évidence
telle qu’elle donne l’impression d’être plus intuitive que savante, mais m’ inquiétant
en même temps de ne pas retrouver l’émotion profonde et fondamentale…C’est l’averse,
, imprévisible , violente, serrée,
libératrice, qui, augmentant les dangers et la nécessité d’agir dans la
vigilance pour cette situation extrême, paradoxalement, d’un coup annule les tensions, donne à l’action d' Enrique Ponce la simplicité lumineuse
de l’évidence et de la beauté. Mon voisin dit « relâché » il est relâché!!!
Il est sublime !
ET je (et tous!) retrouve
l’émotion fondamentale où le temps s’abolit, où l’on en pleurerait de bonheur,
de cette force à braver, et avec quelle grâce, le danger de la mort imminente et
cent fois conjurée.
Et je me dis quelle chance d’être
là encore, qu’elle chance qu’il soit encore là encore, investi de ce fabuleux
pouvoir, malgré le passage du temps et des blessures de la vie
Et je me dis, de quel poids doit
peser sur lui la possession de ce pouvoir, des honneurs qu’on lui fait, et de
nos attentes inconditionnelles, le poids du talent...!
Et je pense à Richard Galliano,
…aux premiers mots que j’ai eu
la chance d’échanger avec lui , il y a quelques années à Saint Martin du Crau :
-Vous êtes d’ici , demande-t-il ?
- Non de Pau…
-C’est loin,il me semble
-600km , on vient de loin pour
vous écouter !
- Et lui !!! :" j’espère que vous ne serez pas
déçus !"
…Ou encore, à ce fabuleux solo à Foix que j’ai déjà évoqué…
Le solo est certes un
exercice singulier et saisissant …
Plus
qu’un chanteur que l’orchestre ou un instrumentiste accompagne, cet homme seul
en scène avec son accordéon embrassé, semble nous inviter à un face à face
intime et tendu…
C’est un concert singulier
sans doute pour lui, mais aussi pour nous, écouteurs passionnés qui concentrons
toutes nos attentes sur celui( ou celle) qui va jouer pour nous …
Et chaque fois à notre
impatiente attente, se mêle comme une implication personnelle, un peu d’angoisse
ou d’anxiété, la peur que ce ne soit pas aussi bien qu’on l’attend, aussi bien
que la dernière fois, aussi bien que notre mémoire en garde le prégnant
souvenir…
Et
c’est sans doute aussi un exercice singulier, périlleux et fragile, pour
l’artiste qui porte seul tout le poids de ces attentes …
Ainsi
d’ailleurs l’avoua avec un peu d’ humour et beaucoup de simplicité, l’
homme modeste au bel accordéon noir , vêtu de noir , entré sur une scène
noire et sombre …
Il
ne l’avoua qu’après trois morceaux très beaux, enchaînés sans un mot …trois
morceaux chargés de force magique, trois morceaux que nous aimons, Habanerando, Tango pour Claude, Fou rire…
« -J’étais
un peu stressé comme à chaque fois, de ne pas y arriver…mais ça va, je suis en
forme, je crois … »
Et
en forme, oui, il l’était !
Tout,
il y eut tout, tout, tout, dans ce Solo de Richard..
La virtuosité extrême et son aboutissement suprême, l’évidence de la simplicité…
La virtuosité extrême et son aboutissement suprême, l’évidence de la simplicité…
L’art
des contrastes, la puissance et la légèreté, l’émotion et l’allégresse…
Le
swing et la mélodie..
Et
la créativité inspirée de l’ improvisation sur les thèmes familiers que l’on
aime …
Et
l’humanité d’un musicien qui avoue son stress à mener à bien mener son Solo...
Tout, même son accueil simple et chaleureux à notre égard, les « adorateurs fidèles » et obstinés, à l’issue du concert !
Tout, même son accueil simple et chaleureux à notre égard, les « adorateurs fidèles » et obstinés, à l’issue du concert !
…Et
pour nous, l’émotion profonde du « encore une fois »…
Parce que notre âge nous sensibilise
plus encore à ce défi émouvant et douloureusement
tendu, pour rester à la hauteur des talents que les hasards
de la vie ont pu nous apporter , je pense aussi à l’extraordinaire
trio avec lequel Michel Portal entre ses amis, Bojan
z , plus jeune et, Vincent Peirani, bien plus jeune, nous a offert à Marciac il
y a quelques jours une magnifique carte blanche…
« Dans la corne d’abondance
qui se réactive chaque été pendant trois semaines dans l’enceinte de sa
bastide, Marciac sort toujours de son profus chapeau de ces inouïs bonheurs à
charmer la nuit gersoise. Même un soir d’orage. Samedi soir, blotti dans le confort
de la belle salle contemporaine de l’Astrada, dont l’acoustique fait merveille,
on ne se rendit même pas compte de l’averse, pourtant assez copieuse pour
disperser avant l’heure les couche-tard »
Ainsi l’écrit Dominique Queillé,
envoyée spéciale de « Libé » à Marciac…
Je ressens encore la tension de l’ entrée en scène de Michel Portal, à son texte de présentation remarquable de leur trio , et sa perfection
préparée,
"L’idée est de réunir des
amis pour partager nos musiques et échanger en toute confiance»,
Une conception mobiliste où les rôles se complètent,
s’inversent, jusqu’à chercher la provocation. Celle que Michel Portal,
Basque anxieux mais ô combien radieux, recherche dans ces confrontations
parfois mordantes mais toujours pacifiques.
Tension de tout son être, que seules les
premières notes de l’interprétation du Choral de Peirani commencent à relâcher,
en même temps que s’échangent entre les complices des regards de plus en plus souriants
De leur complicité
jaillissent des pics de grâce, des flamboyances ou une intensité méditative que
Portal porte à son comble dès l’ouverture sur Choral, aérienne
composition de Vincent Peirani, l’accordéoniste aux pieds nus…
De ce temps exceptionnel , nous
retirons un sentiment de bonheur absolu, qui relève du jeu remarquable de trois
musiciens , leur complicité, leur présence, leur communication vraie avec le
public, bref de cette alchimie qui produit des concerts inoubliables…
Mais y participe aussi pour moi; comme pour la faena d’Enrique Ponce, et
le solo de Richard Galliano à Foix, la tension produite par le sentiment
d’une fragilité extrême, l’ intensité
d’émotion du moment privilégié que nous donnent à vivre des talents
exceptionnels …
Intensité que renforce, pour moi
en tous cas, la conscience de leur propre anxiété à ne pas déchoir, que je ressens,
et dont je partage avec empathie la tension …
Leur triomphe est pour moi le triomphe du génie sur l’effritement
des ans, le refus de l’inéluctable dégradation…C’est aussi une victoire sur le
poids du talent qui suscite tant d’attentes et de ferveur et les oblige à
toujours réussir à y répondre !
...Et même peut-être, en ce qui concerne Michel P. , grâce à la force
de la génération de ceux qu’il a nourris de son talent et qui aujourd’hui l’accompagnent…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire