Quarante ans après….
Quelqu’un (je crois bien que
c’était Héraclite …) a dit qu’ « on ne se baigne jamais dans le même
fleuve … »
Jusque là je l’interprétais ,et
ne trouvais l’affirmation que « trop » vraie en matière de bonheurs
, que l’on ne peut en retrouver à l’identique dans le cours du temps qui coule…
Mais aujourd’hui je suis souvent
frappée par la stagnation des conceptions qu’elles soient sociologiques,
pédagogiques ou morales…
J’évite de penser, ça fait un peu
« vieux cons » !, on l’avait déjà pensé, discuté... Ce combat on l’avait déjà mené , il y a vingt ans ...Cette
théorie, on en avait déjà débattu, y a un bout...Célestin Freinet avait déjà écrit
et pratiqué cela en pédagogie, et d’ailleurs Rousseau avant lui…
Stagnation …passe encore que le
fleuve se calme et s’égare dans de petits bassins stagnants où l’eau est plus
tiède …
Mais maintenant nous voilà
« A Rebours » !
On revient se baigner en amont …
Une certaine tristesse des ans
m’avait déjà parfois effleurée, le sentiment qu’il n’y avait guère de progrès,
à l’instar de l’émotion de ma mère quand les SDF, voire les mendiants, sont
réapparus dans nos villes :
« Jamais, jamais, je n’aurais cru qu’on reverrait ça disait-elle ! »
la voix navrée, sa foi dans les progrès de l’humanité battue en brèche…
Mais je raisonnais , je me
disais : « Quand même la situation des femmes au moins, a
progressé…je pensais aux jeunes pères qui changent leurs petits et les
promènent dans leurs poussettes…même si la répartition des tâches et des rôles
sociaux n’est peut-être pas encore bien satisfaisante,
je pensais surtout à la contraception
qui fut un combat difficile pour notre génération, qui impliquait aussi la possibilité de
poursuivre des études et mener une carrière, je pensais à l’avortement, et aux
trafics que sa législation avait fait disparaître … »
Il y a des acquis, plus de crèches,
plus de nounous qu’il y en eut pour nous…
Il y a des équipes de foot et de
rugby féminines, alors que nous dûmes
courir notre ville pour que notre fille puisse trouver un club de filles, ou au moins acceptant celles-ci.
En vain , avant de trouver (nous, athées et laïcards !) une équipe de
patronage fort sympa et dynamique dans un village alentour…
Il y a aujourd’hui de belles équipes de filles qui gagnent !
Il est vrai qu’elles n’ont pas de
spectateurs !
Et puis voilà que l’Espagne, la courageuse d’après Franco, et voilà aussi qu’un nombre non négligeable de
Français , mettent en cause
l’avortement !
Et voilà que, comme monstre du Lochness,
réapparaît la « théorie »
des Genres …qu’on « enseignerait » ! Vrai épouvantail à moineaux
que cette « théorie », dont la pompeuse étiquette a pour
fonction de servir simplement d’étendard au rassemblement des réactionnaires
de tous poils. Théorie, ça fait technique, ça fait philosophique, ça fait
danger.. !
J’ai eu l’impression pénible d’un
triste retour du passé avec un habillage moderne technique et savant de la querelle
nature / culture …l’acquis / l’inné, du genre génétiquement déterminé, contre
le genre construit par l’Histoire dans la société, entre culture féminine socialement
construite et Eternel Féminin !
Du côté des petites filles
Et pour lutter contre cette
tristesse insidieuse et désabusée, j’ai eu envie de retrouver (ce que Michel a
fait pour nous) un livre fort réjouissant de notre toute jeunesse…
Edité par les Editions des Femmes, écrit par Elena Gianini Belotti... A l’éternelle question de l’ Eternel Féminin, Elena
répondait, entre autre réponses ,n relisant les contes de fées , et en esquissant
d’un crayon ironique, l’image des jeunes
filles que ces contes si réputés éducatifs offraient à l’imaginaire de nos
chers petits !
Puisse ce texte réjouissant vous
réjouir comme il a réussit à me réjouir et
à balayer pour un temps , mon
humeur chagrine et désabusée :
« Le petit chaperon est l’histoire d’une fillette à la limite de la
débilité mentale ,qui est envoyée par une mère irresponsable à travers des bois
profonds infestée de loups pour apporter à sa grand-mère malade de petits
paniers bourrés de galettes. Avec de telles déterminations , sa fin ne surprend guère […]
Blanche Neige est une autre
petite oie blanche qui accepte la première pomme venue, alors qu’on l’avait
sévèrement mise en garde de ne se fier à personne. Lorsque les sept nains
acceptent de lui donner l’hospitalité, les rôles se remettent en place :
eux iront travailler, elle tiendra pour eux la maison, reprisera, balaiera,
cuisinera en attendant leur retour […]
Elle réussit toujours à se mettre
dans des situations impossibles, et pour l’en tirer, comme toujours, il faut
l’intervention d’un homme, le Prince Charmant, qui l’épousera,
fatalement. »
Analyses un poil caricaturales, analyses
qui ignorent celles de Bettelheim ou en font fi, analyses triviales et totalement « apoétiques », mais qui
personnellement me réjouissent fort. Il
faut l’ avouer , je n’ai jamais
aimé les contes de fée. Petite fille indigne, je leur préférais sans états
d’âme les versions de Walt Disney, et prof indigne de littérature , puis, qui plus
est, formatrice de maîtres de maternelle, je persistai dans cette préférence
blasphématoire …
L’éternel féminin :
J’y ajouterais d’ailleurs à mon
tour, une petite note personnelle :
les deux héroïnes que je détestais entre toutes :
La petite Sirène d’Andersen, son
sacrifice terrible et tragiquement inutile…
Et quoique ce ne fût pas une fille , « mais… qu’elle était jolie ! la petite chèvre de Monsieur Seguin » ! Inconséquente certes, mais voulant la liberté, et sans doute l’amour du loup, désobéissante certes, mais si cruellement punie, abandonnée toute la nuit à son combat inutile par son Monsieur Seguin qui entendait ses appels …
Et quoique ce ne fût pas une fille , « mais… qu’elle était jolie ! la petite chèvre de Monsieur Seguin » ! Inconséquente certes, mais voulant la liberté, et sans doute l’amour du loup, désobéissante certes, mais si cruellement punie, abandonnée toute la nuit à son combat inutile par son Monsieur Seguin qui entendait ses appels …
Quelle terrible image à donner
aux fillettes pour leur édification !
MORALITÉ du petit chaperon rouge (PERRAULT)
On voit ici que de jeunes
enfants,
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et
gentilles,
Font très mal d’écouter toute
sorte de gens,
Et que ce n’est pas chose
étrange,
S’il en est tant que le Loup
mange.
Je dis le Loup, car tous les
Loups
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans
courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque
dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces
Loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus
dangereux.
Merci toutefois à Messieurs Grimm, d’ avoir fabriqué à ce conte un happy end (grâce au mâle chasseur ,il est vrai !) et
même un second, où la finesse du Chaperon la tire seule d’affaire , tant il est
vrai que même une petite fille peut apprendre à se défendre elle-même... !!!
« Tous les trois étaient
bien contents : le chasseur prit la peau du loup et rentra chez
lui ; la grand-mère mangea la
galette et but le vin que le Petit Chaperon rouge lui
avait apportés, se retrouvant
bientôt à son aise. Mais pour ce qui est du Petit
Chaperon elle se jura : “ Jamais
plus de ta vie tu ne quitteras le chemin pour courir
dans les bois, quand ta mère te
l’a défendu. ”
Mais les Grimm étaient issus d’un siècle de lumières, qui
crut au pouvoir de l’éducation, et aux progrès…en particulier du statut des
femmes …
Puisse notre siècle s’en souvenir
et ne pas être, quarante après, plus rétrograde que les lectrices de Elena Gianini
Belotti !!!!
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