Patrick
Modiano, les labyrinthes de la mémoire…
Le
prix Nobel de Patrick Modiano m’a causé je l’avoue une certaine fierté…Cocorico
national ? pas tout à fait, mais le plaisir de voir fêtée une langue si
pure et dépouillée , aux phrases à la fois complexes et si limpides par leur
déroulement équilibré, un français si accompli.
Et
puis c’est un des ces rares auteurs (j’avoue ma grande incapacité à lire
« en extension ») que j’ai fréquenté avec constance, et dont j’ai lu beaucoup de livres durant une
période de ma vie …
Je
l’avais un peu oublié et, je ne sais pourquoi, de tous ses livres me restait le
titre de Villa triste , et un
souvenir prégnant, et peut-être inexact, de murs vides en grisaille et pénombre. Et de l’ indéfinissable tristesse
d’un aboutissement impossible…
Je
l’ai cherché dans le dédale de mes étagères de livres et ne l’ai pas trouvé, en
revanche j’ai retrouvé Livret de famille, dont j’avais perdu la
mémoire, La place de l’étoile, Ronde de nuit, Boulevards de ceinture…
Et
j’ai donc acheté Pour que tu ne perdes pas dans le quartier.
Et elle est revenue l’impression forte et
envoûtante de jadis, l’impression d’entrer dans un labyrinthe fascinant dont on
ne peut s’arracher, à la recherche de quelqu’un ou quelque chose qui apparaît
et se dérobe, quelque chose d’intime et
d’angoissant, important à retrouver mais peu précis, un je ne sais quoi
de fondamental…et qui nous échappe…
Je
repense alors à un rêve que je fais souvent et qui m’occasionne le même
malaise : ça commence par le vol ou la disparition de ma voiture ou de mon
vélo ; ça continue par la perte de mon chemin qui s’égare dans des voies
sans issues, et s’accompagne du dysfonctionnement des objets familiers, ô
combien symboliques , clés, et bien pire
téléphone, dont j’ai perdu la maîtrise …
Mais,
comme dans les rêves, je persiste à ne pas me réveiller, dans l’illusion que je
vais retrouver mon chemin, le numéro de
téléphone utile, le petit papier blanc …
…« Pour
que tu ne te perdes pas dans le quartier »….
Et
voilà que tout à coup dans un autre grenier, avec les albums pour enfants, je
retrouve
Catherine
Certitude.
Je
l’avais acheté à une période où j’espérais la parution d’albums pour adultes .
Lisant mal les BD, mais sensible néanmoins à l’image, et encore davantage à son
association au texte, pratiquant par mon métier la littérature de jeunesse,
j’avais pris goût à cette expression interactive d’un dessinateur remarquable
et d’une prose choisie, le sienne, ou celle d’un autre et non moins remarquable
auteur (ainsi Céline et Tardi).
Je
ne sais si c’est dû au choix du point de
vue de narration, celui d’une fillette
devenue adulte, Catherine ,
...à
ce nom propre étrange et signifiant « Certitude »,
...à
l’humour de son association avec le nom bien terre à terre auquel il se trouve
associé « Castérade »,
...et
plus généralement à l’humour savoureux des rapports fusionnels avec son père , comme
la pesée à deux sur la balance du magasin « Certitude et Castérade » :
« Je n’ai jamais rien vu sur le plateau de
cette balance. Sauf papa . Aux rares moments où Monsieur Castérade, son associé,
était absent , papa se tenait immobile et silencieux au milieu du plateau de la
balance, les mains dans les poches, le visage incliné. Il fixait d’un regard
pensif le plateau de la balance dont l’aiguille marquait – je m’en souviens-
soixante-dix-sept kilos. Quelquefois il me disait :
-Tu viens
Catherine ?
Et j’allais
le rejoindre sur la balance. Nous restions là assis tous les deux, les mains de
papa sur mes épaules. nous ne bougions pas. Nous avions l’air de prendre la
pose devant l’objectif d’un photographe. J’avais ôté mes lunettes, et papa
avait ôté les siennes. Tout était doux et brumeux autour de nous. Le temps
s’était arrêté. Nous étions bien…
Peut-être est-ce dû aussi :
…A la vision poétique de la fillette, obligée d’ôter ses lunettes pour
danser, qui accède ainsi à deux mondes, celui de la vie réelle, et « un monde de rêve flou et tendre » « un monde qui n’avait plus d’aspérités »,
qui « était aussi doux et duveteux
qu’un gros oreiller contre lequel elle appuyait sa joue… »
…Et
que cet accès à la poésie du monde trouve à se réaliser dans l’art de la danse …
…Et
que ses souvenirs d’enfants sont « aussi
tendres et flous » qu’ « un
monde de rêve » heureux…
…Que
Certitude elle a que :
« Nous
restons toujours les mêmes, et ceux que nous avons été, continuent à vivre
jusqu’à la fin des temps…
Ainsi il y
aura toujours une petite fille nommée Catherine Certitude qui se promènera avec
son père dans les rues du Xème arrondissement à Paris »
Un
papa qui disait le matin en nouant son nœud de cravate, sur un ton pensif ou
quelquefois très résolu :
-A nous deux
, Madame la vie.
En
tout cas, relire cet « album » m’a pour un temps enchantée…
Dans
les labyrinthes de la mémoire de Patrick Modiano, j’ai trouvé pour mes rêves
incertains du matin, un chemin, brumeux et flou certes, mais pourtant lumineux,
et qui ne se perd pas, un chemin
d’enfance retrouvée…
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