samedi 6 décembre 2014

Patrick Modiano, les labyrinthes de la mémoire…

Patrick Modiano, les labyrinthes de la mémoire…
Le prix Nobel de Patrick Modiano m’a causé je l’avoue une certaine fierté…Cocorico national ? pas tout à fait, mais le plaisir de voir fêtée une langue si pure et dépouillée , aux phrases à la fois complexes et si limpides par leur déroulement équilibré, un français si accompli.
Et puis c’est un des ces rares auteurs (j’avoue ma grande incapacité à lire « en extension ») que j’ai fréquenté avec constance,  et dont j’ai lu beaucoup de livres durant une période de ma vie …
Je l’avais un peu oublié et, je ne sais pourquoi, de tous ses livres me restait le titre de Villa triste , et un souvenir prégnant, et peut-être inexact, de murs vides  en grisaille et  pénombre. Et de l’ indéfinissable tristesse d’un aboutissement impossible…
Je l’ai cherché dans le dédale de mes étagères de livres et ne l’ai pas trouvé, en revanche  j’ai retrouvé Livret de famille, dont j’avais perdu la mémoire, La place de l’étoile, Ronde de nuit, Boulevards de ceinture

Et j’ai donc acheté  Pour que tu ne perdes pas dans le quartier.
 Et elle est revenue l’impression forte et envoûtante de jadis, l’impression d’entrer dans un labyrinthe fascinant dont on ne peut s’arracher, à la recherche de quelqu’un ou quelque chose qui apparaît et se dérobe, quelque chose d’intime et  d’angoissant, important à retrouver mais peu précis, un je ne sais quoi de fondamental…et qui nous échappe…

Je repense alors à un rêve que je fais souvent et qui m’occasionne le même malaise : ça commence par le vol ou la disparition de ma voiture ou de mon vélo ; ça continue par la perte de mon chemin qui s’égare dans des voies sans issues, et s’accompagne du dysfonctionnement des objets familiers, ô combien symboliques , clés, et bien pire  téléphone, dont j’ai perdu la maîtrise …
Mais, comme dans les rêves, je persiste à ne pas me réveiller, dans l’illusion que je vais  retrouver mon chemin, le numéro de téléphone utile, le petit papier blanc …
…« Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier »….

Et voilà que tout à coup dans un autre grenier, avec les albums pour enfants, je retrouve
Catherine Certitude.
Je l’avais acheté à une période où j’espérais la parution d’albums pour adultes . Lisant mal les BD, mais sensible néanmoins à l’image, et encore davantage à son association au texte, pratiquant par mon métier la littérature de jeunesse, j’avais pris goût à cette expression interactive d’un dessinateur remarquable et d’une prose choisie, le sienne, ou celle d’un autre et non moins remarquable auteur (ainsi Céline et Tardi).

Je ne sais  si c’est dû au choix du point de vue de narration, celui  d’une fillette devenue adulte,  Catherine ,
...à ce nom propre étrange et signifiant « Certitude »,
...à l’humour de son association avec le nom bien terre à terre auquel il se trouve associé « Castérade »,
...et plus généralement à l’humour savoureux des rapports fusionnels avec son père , comme la pesée à deux sur la balance du magasin « Certitude et Castérade » :
« Je n’ai jamais rien vu sur le plateau de cette balance. Sauf papa . Aux rares moments où Monsieur Castérade, son associé, était absent , papa se tenait immobile et silencieux au milieu du plateau de la balance, les mains dans les poches, le visage incliné. Il fixait d’un regard pensif le plateau de la balance dont l’aiguille marquait – je m’en souviens- soixante-dix-sept kilos. Quelquefois il me disait :
-Tu viens Catherine ?
Et j’allais le rejoindre sur la balance. Nous restions là assis tous les deux, les mains de papa sur mes épaules. nous ne bougions pas. Nous avions l’air de prendre la pose devant l’objectif d’un photographe. J’avais ôté mes lunettes, et papa avait ôté les siennes. Tout était doux et brumeux autour de nous. Le temps s’était arrêté. Nous étions bien… 

 Peut-être est-ce dû aussi :

…A la vision poétique de la fillette, obligée d’ôter ses lunettes pour danser, qui accède ainsi à deux mondes, celui de la vie réelle, et « un monde de rêve flou et tendre » « un monde qui n’avait plus d’aspérités », qui « était aussi doux et duveteux qu’un gros oreiller contre lequel elle appuyait sa joue… »

…Et que cet accès à la poésie du monde trouve à se réaliser dans l’art de la danse …
…Et que ses souvenirs d’enfants sont « aussi tendres et flous » qu’ « un monde de rêve » heureux…
…Que Certitude elle a que :
« Nous restons toujours les mêmes, et ceux que nous avons été, continuent à vivre jusqu’à la fin des temps…
Ainsi il y aura toujours une petite fille nommée Catherine Certitude qui se promènera avec son père dans les rues du Xème arrondissement à Paris »
Un papa qui disait le matin en nouant son nœud de cravate, sur un ton pensif ou quelquefois très résolu :
-A nous deux , Madame la vie.



En tout cas, relire cet « album » m’a pour un temps enchantée…

Dans les labyrinthes de la mémoire de Patrick Modiano, j’ai trouvé pour mes rêves incertains du matin, un chemin, brumeux et flou certes, mais pourtant lumineux, et qui ne se  perd pas, un chemin d’enfance retrouvée…









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