dimanche 25 mai 2014

Ma mère tout ce que je sais d’elle…


Nous étions assis  tous deux en train de souper et je dis à Michel avec ce curieux pincement au  cœur qui jamais ne disparaîtra :
«  Tu te rappelles ces cuisines que faisait ma mère , pas exceptionnelles mais quand même un peu raffinées , un peu extra-ordinaires , le pâté de lapin, ou le cervelas , ou la poule désossée farcie…je ne sais pas le faire… 
Et je l’ai senti ce tout petit sanglot intérieur de l’irrémédiable, «  je ne pourrai plus le lui demander … »
Alors je me suis laissée glisser dans la pensée douce de tout ce que je sais d’elle , de tout ce qu’elle m’a appris…

Faire la cuisine tous les jours, pour elle , gourmande, et pour nous, « parce qu’il faut du chaud » De la cuisine au quotidien , simple et raffinée…Choisir  dans des livres de référence une recette projetée, puis en réajuster ingrédients, proportions à sa guise …et la réussir !
Réécrire à sa manière les recettes ...

Aimer les chats, les chiens, les oiseaux, s’intéresser à leur vie, observer leurs comportements, les caresser de la voix et de la main…

Rire parfois follement…

Chanter aussi bien Carmen que Rina Ketty et Joséphine Baker…ou Georges Van Parys…

Témoigner une authentique sympathie, assortie d’une sorte de respect, aux « gitanes nomades  qui venaient régulièrement quémander un peu d’argent, ou du linge et des vêtements, et qui lui « vendaient » en échange d’horribles torchons et serviettes dont nous nous servions ….

La passion d’enseigner, une sorte de créativité à inventer les manières de le faire , une fantaisie divagatrice  à changer de public si nécessaire ,et le plaisir d’y réussir….

Le goût des gens à qui on perle et qui sont si intéressants ….parfois !!!

Une propension à contempler les choses du monde, les fleurs, les ciels, et les paysages, les beaux monuments des hommes, et puiser dans ce regard la joie d’exister …

Le bonheur d’être femme et mère…   un féminisme déterminé pour elle inhérent au progrès qu’elle croyait historiquement en marche !

La fidélité au premier amour

L’engagement dans les valeurs de l’enseignement, de la république …
L’obstination à aller  voter  en dépit de tous les  doutes politiques ,pour la démocratie et  «  parce qu’en plus  les  femmes françaises ne l’ont pas toujours eu ce droit ! »

Le goût des histoires qui finissent bien
Et de l’Histoire qui nous a construit
De la géographie qui raconte la terre
L’amour des textes, des poèmes , des classiques, et des pas classiques,  pourvu qu’ils chantent à la voix , et nous émeuvent, ou nous fassent rire…

Le plaisir de se coucher tard pour profiter de la qualité du silence de la nuit

Grignoter le pain en faisant craquer sa croûte et éclater sa mie

Le sens  du projet, l’envie d’entreprendre des choses nouvelles, de rencontrer des gens nouveaux , d’aller voir…ailleurs !

ET ....Je sais aussi des choses pour moi fondamentales et  qu’elle ne m’a pas apprises :
Le  contact du sable sous les pieds, l’appel de l’Océan qui toujours console  nos labeurs, le plaisir de plonger dans l’écume  quand elle est aérée comme une chantilly mousseuse.
Car depuis l’enfance et à jamais, elle détestait la plage, le sable qui s’insinue et gratte, le bain qui noie et « hydrocute » … le soleil qui « crame »!!!

Je lui dois donc d’autant plus « merci »d’avoir acheté alors qu’ils n’étaient pas bien opulents  ce petit bout de terrain  et fait bâtir un petit pavillon…pour nous sans aucun doute et nos enfants…

Post scriptum :
Ce soir elle serait affectée comme moi de l’évolution du suffrage français, elle qui comme bien d’autres a vécu le fascisme, et croyait avec volontarisme aux vertus du rapprochement des peuples en Europe… et ailleurs !


Passion CD


Bien sûr j’ai écrit et le réaffirme le plaisir d’un concert, que nous avons découvert  et vécu avec intensité, et même  une certaine passion,   depuis seulement un certain nombre d’années , est pour moi le summum du plaisir musical…
.Ce  plaisir de l’écoute en direct comporte une émotion très forte , où se conjuguent l’attente du concert  , sa prévision, le déplacement même qu’il nécessite, l’effort de préparation même qu’il implique  et par-dessus tout la présence des musiciens, la rencontre avec  eux qu’elle soit distante ou parfois proche, la  communication dans l’instant à leur musique en train de se créer ou recréer,   le fait que l’œuvre se construit en live pour notre écoute et sous nos yeux, tout  fait de ce moment à par, un Evènement véritable.
Live, éphémère, tendu, et fragile, moment décisif vécu, et que rien ne nous rendra réellement , pas même un enregistrement …

Mais pour autant l’enregistrement est pour moi un outil magique et   je ne  renie en rien mon amour des disques.
Nous sommes d’une génération du disque, d’autant plus que mes parents n’étaient pas musiciens . Ma mère chantait et je crois très bellement (comme je regrette….) et nous avec, et ce sont là mes premiers émois musicaux...
Mes premiers 45 tours, mes premiers 33 tours, pourtant parfois de qualité médiocre,  furent l’occasion de découvertes extraordinaires dont je me souviens encore, en grande partie, la source de ma culture musicale , autodidacte, aléatoire et « divagatrice ».
Je n’avais aucun a priori de catégorie, n’ayant pas connaissance  de catégories. Alors comme encore aujourd’hui cette culture de jardin de curé s’est jadis constituée  au fil des rencontres et des influences, aux hasards du goût,  le mien, ou  celui de ceux que j’aimais et  dont j’adoptais plus au moins durablement les passions…

Mes disques, ceux qui sont encore là,  sont comme la bibliothèque de mes amours musicales.

Et c’est ainsi d’ailleurs que je retrouve dans le CD d’aujourd’hui l’impression d’ « œuvre » que je trouve dans mes livres.
 Une sorte d’objet d’art avec une couverture qui promet , puis qui s’ouvre se déplie et offre des entrées multiples, les disques eux-mêmes bien sûr qui accrochent par leur brillance , la liste des opus, la marque des instruments qu’ on y joue, des photos qui expriment elles -mêmes une esthétique .

Et parfois,  trésor supplémentaire et précieux , des textes, des textes de leurs musiciens , des textes qui, pour les meilleurs, complémentaires sans redondances , connotent plus qu’ils ne décrivent ,évoquent plus qu’ils n’expliquent , les variables de l’aventure musicale de leur auteurs, donnent à rêver mais parfois aussi à comprendre( à « prendre-avec »)l’écoute qu’on vivra, revivra à loisir….
Et parfois plus précieux encore, une signature , un "crobar", un mot…un petit signe amical…

Tout y signifie , comme dans un recueil écrit , les titres , l’ordonnance des morceaux , subtile composition des allègres et des andantes , toutes  parties qui  composent un tout…
Cette petite œuvre concentre un moment de l’œuvre musicale des musiciens , un petit caillou sur son chemin d’aventure musicale , une étape de sa vie …ce que Sartre appelait pour les livres dont la vue le fascinait sur l’étagère de son grand père , des « pierres levées »…
Et c’est ainsi qu’il m’apparaissent, nos CD sur nos étagères, un trésor d’œuvres à consulter à revivre...

 Il y a d’abord les CD de nos musiciens amis

De ceux qu’on connait depuis le début de notre chemin d’accordéon et aussi, souvent, du début du leur. Nous pouvons en feuilleter les étapes, et mesurer le chemin parcouru, réactiver les débuts, revivre les émotions des premières rencontres.
Philippe, son  trajet personnel,puis des collaborations inspirées…avec  Maitane Sébastián, notre amie





Bruno, avec Mieko Miyasaki ou Jacques Di Donato puis une aventure personnelle comme un concentré de musique...


Les Pulcinella ,Christian Toucas,Sonia Rekis,Lionel Suarez, Vincent peirani...


Didier Ithursarry


Il y a ensuite toutes les rencontres : on est « accroché » , séduit, intrigué, on aime, on écoute, puis on écoute ailleurs, puis la mémoire reste enfouie un moment, puis on retrouve et savoure, il arrive  parfois même on n’ait pas su aimer du premier coup …



David Venitucci ,Spasiuk , Barboza, Gizavo, Laurent Derache , New Meeting Quartet, Manu Comté et Soledad, Frédéric Viale…et…et…et…
Mais ils sont là,  les CD, sentinelles fidèles …

Il y a les rencontres des rencontres. Ceux que nos amis nous on fait découvrir et aimer : Paolo Fresu, Jan Lundgren Daniel Goyone, parce que « amis avec Richard G », comme dirait FB,   Emile parisien, Michel Portal, Youn Sun Nah, François Salque, Ulf Wakenius, parce que Vincent Peirani, Jacques Di Donato, Mieko Myazaki,  parce que Bruno , André Minvielle, Pierre- François Dufour, parce que Lionel Suarez, Renaud  Garcia -Fons, parce que Jean Louis Matinier et David Venitucci…Jerez Le Cam ,Tomas Gubitsch parce que Manu Comté….ET…ET….
Et  voilà que pour eux on déroge à l’exclusivité des choix initiaux et l’on repart à la course au Bonheur des Concerts et en tout cas des CD…
Irons –nous aussi entendre Omar Sosa et A Filetta ? Et Jan  Lungren Solo…Et A Minvielle, c’est si près, et Renaud -Garcia –Fons même !!!Solo…et…et….

Il y a ceux qui ont le pouvoir de ranimer "les voix chères qui se sont tues..."
Claude...
Stéphane , dont on regrette tant le talent...


Et puis il y a les CD que je qualifierai de CD de chevet :
Comme pour les livres, je dirais que ce sont ceux qui demeurent à notre chevet, viatiques du chemin de la vie, qu’on trouve tellement beaux et tellement roboratifs de notre force vitale, qu’on y puise dans les jours de joie aussi bien que de  spleen, CD de chevet auxquels on recourt parfois le soir, comme à certains livres,  pour conjurer l’angoisse du sommeil impossible , du souci vainqueur, de l’angoisse importune…
A l’instar de nos livres de chevet, ce  sont souvent nos CD « fondateurs », ceux qui témoignent de la rencontre décisive , de  celle qui a tout déterminé de notre goût musical.

Richard Galliano

Auquel je reviens toujours avec obstination quand on a besoin de cette beauté là, avec un rien de crainte  que ce ne soit plus aussi beau, mais aussi la certitude que ce le sera toujours
Et Piazzolla, qu’on aurait peut-être pas si bien rencontré sans lui….

Et ainsi demeure  demeurent à mon chevet et dans un certain désordre de mes étagères personnelles, Richard et Piazzolla, empilés avec Schubert, la Pathétique de  Tchaikowski , le Requiem de Mozart, le Stabat Mater de Pergolèse, les Mazurkas de Chopin,  , les extraits des  Noces de Figaro , la Note Bleue de Nougaro, Peer Gynt, Rameau et Lulli et …. Et….Et….

Quel bazar, au Bazar la chance !

NB:
Et en fouillant je retrouve un CD offert,  un CD oublié ! Une belle chose pour ma soirée…..


« Volver » par Estrella Morente !!!!



vendredi 9 mai 2014

Maitane Sébastián et Philippe de Ezcurra à Urrugne le 26 avril




Pour exprimer l’émotion ressentie lors de ce concert de dimanche dans la superbe et surprenante église st Vincent d’’Urrugne, je ne sais quelles composantes évoquer en premier :
Le plaisir d’entendre en direct l’accordéon de Philippe avec Maitane au violoncelle ? de l’écouter du surcroît  avec notre « grande » Charlotte ?
Les plaisirs de l’amitié, la rencontre,  les échanges , la fierté d’être leurs amis ? 
La convivialité de ce pays où Philippe nous accueille en quelque sorte chez lui ?
Le public chaleureux et réactif ?
Le son acoustique superbe sous la vaste  voûte de cette curieuse église ?

La sortie d’un nouveau CD-DVD qui nous permettra de les  réentendre encore et encore, et même, le fait d’avoir contribué au livret pour quelques lignes de texte ?

Par-dessus tout, en fait,  ce concert riche et beau, qui marque à nos yeux une avancée de plus dans le talent de Philippe dont  nous suivons depuis des années  la réalisation …
http://vimeo.com/90942398




  

La première impression à l’écoute de cette musique est sa variété. Comme Philippe le souligne de quelques mots discrets de présentation, il s’agit bien d’un voyage, sans frontières , dans le temps certes,  de Bach à Dave Brubeck, dans les genres évidemment , dans l’espace,  du Danemark , l’Allemagne , la France,  à l’Espagne,.. et le Pays Basque,  mais c’est surtout un parcours dans  « la Musique qu’ils aiment », et qu’ils nous donnent à aimer…



Piazzolla, Philippe et Maitane, nous l’ont souvent joué. Bach,  Ravel, Philippe a souvent aimé nous les jouer,  mais aujourd’hui il y aura aussi Grieg, avec Peer Gynt, Dave Brubeck
D’abord Sonate en sol majeur de Bach,pour nous un inédit ( sur le CD c’est la sonate en sol mineur)
…Et le concert débute avec la sérénité du contrepoint de Jean Sébastien  Bach que le dialogue accordéon, violoncelle souligne remarquablement …
Puis Ma mère l’Oye de Ravel,..
et la référence aux contes de fée ouvre un univers poétique, léger, un vert paradis « des amours enfantines ».
Je me suis prise à aimer peu à peu cette musique du début du 20ème siècle et la sonorité particulière de Ravel.
 Musique figurative certes dont les titres orientent la rêverie…les pas du Petit Poucet, le dialogue de la Belle avec la Bête…Figurative certes, mais comme un peu décalée, si légère ,et si peu narrative qu’on pense à l’art abstrait de son temps , s’ouvrant sur d’autres univers musicaux ou  poétiques …le dialogue instauré par les adaptations de Philippe y est remarquable

Bien plus figuratives en fait m’apparaissent les pièces  de  la suite n°1 de Peer Gynt qui m’enchantent personnellement : j’aime Peer Gynt .
J’en aime les mélodies si justement  célèbres. «  Romanesques »… elles me semblent romanesques,  racontant les sentiments et en  transmettant l’émotion puissante, ouvrant sur  un monde dramatique.

La Jota de Pablo de Sarasate, c’est dans le concert un moment léger et dansant. Philippe et Maitane sont comme chez, eux, plus détendus et souriants…la mélodie a la teinte de leur pays. Mais aussi une  complexité raffinée et orchestrée…

Rondo à la Türk de Dave Brubeck marque un intéressant changement de style et de rythme :sa mélodie nous rappelle Capon et Galliano, son swing nous ramène au dramatique du thriller parce que toujours on pense à Nougaro,

Et c’est bien de finir par  Piazzolla…
Pour moi, Piazzolla est un génie. Sa musique chante le tragique du monde, la scansion du destin et le tempo envoûtant de la danse, avec des  mélodies si prégnantes qu’on en est saisi définitivement.
 Virtuosité remarquable et subtilité des deux sonorités pour la douceur de la Milonga et la scansion tragique de la Muerte del Angel...

Et comme un jazz man, Piazzolla  ouvre un espace libre  à l’ interprétation , et le  Libertango offert en rappel par Philippe et Maitane est bien choisi comme emblème  de cette  liberté …Leur interprétation en témoigne magnifiquement . Deux  chorus  nous permettent de goûter le son superbe et personnel de l’accordéon, puis du violoncelle…

Et puis c’est fini !
Et…malgré l’apéro délicieux, tortillas et charcuteries basques, la convivialité des proches des deux musiciens, les échanges amicaux avec Philippe et notre amie Maitane….
( de ces échanges toujours nous retirons une grande douceur d’amitié et un peu plus encore, par les remarques ponctuelles, exprimées en toute simplicité par nos musiciens amis, un supplément de savoir et de compréhension de leur musique )
…Et malgré tout cela, comme après tous les concerts marquants auxquels nous assistons, nous éprouvons une impression de vide, la frustration certaine d’un grand plaisir éphémère et désormais achevé…

Heureusement nous emporterons le disque,  cadeau d’amitié, promesse d’une insatiable écoute, beauté d’un bel objet, petits disques brillants accompagnés de texte, enfermés dans un précieux boîtier aux photos remarquables…

EUPHONIA, le bien nommé